Interdiction des signes religieux : le Québec se rebelle au pays du multiculturalisme

Le gouvernement québécois a présenté un projet de loi sur la laïcité interdisant les signes religieux à certains fonctionnaires. Une première dans l’histoire du Québec. De quoi provoquer la colère de Justin Trudeau, qui y voit une « discrimination ».

Il aura fallu dix ans de débat et une promesse électorale pour que la proposition puisse voir le jour. Si la loi est votée en juin, au Québec, les signes religieux seront interdits aux fonctionnaires en position d’autorité tels que les policiers, les juges ou les enseignants. Le « visage découvert » sera également exigé pour ces employés de l’Etat ainsi que pour toute personne recevant un service de l’État et ce, pour des raisons d’identification. Et pour éviter une possible « dictature des tribunaux », le gouvernement québécois a recours à la « clause nonobstant » qui restaure, pendant cinq ans, le prima de la souveraineté parlementaire sur les juges.

JUSTIN TRUDEAU DÉÇU ET CHOQUÉ

Ce projet de loi, dit « projet de loi 21 », n’a pas fini d’agiter le Canada… Si près de 74% des Québécois francophones y sont favorables, selon un sondage Léger pour le CAQ, la pilule a du mal à passer du côté des Canadiens anglophones. Le texte venait tout juste d’être déposé que Justin Trudeau, Premier ministre canadien, s’empressait de manifester son indignation : « Pour moi, il est impensable que, dans une société libre, nous légitimions la discrimination contre des citoyens en raison de leur religion », expliquait-il, tout en reconnaissant qu’il n’avait pas lu le texte.

Une réaction qui n’a rien de surprenant de la part de ce chantre du multiculturalisme qui, en 2013, comparait la laïcité à… la ségrégation raciale aux Etats-Unis dans les années 50. Pourtant, pour bon nombre de Québécois, le texte est encore trop timide. En effet, les éducatrices en garderie ne sont pas concernées par l’interdiction des signes religieux. De plus, la « clause grand-père » inclue dans le projet empêche tout effet rétroactif. En d’autres termes, les fonctionnaires qui portent déjà un voileou une kippa pourront continuer à le faire.

« Les tenants du multiculturalisme, au Québec
comme ailleurs, ont la fâcheuse tendance
à présenter leurs opposants comme des intolérants et xénophobes »

La réaction d’Ottawa ne surprend pas les Québécois. Pour l’historien Eric Bédard, « les tenants du multiculturalisme, au Québec comme ailleurs, s’arrogent le monopole du bien et ont la fâcheuse tendance à présenter leurs opposants comme des simples d’esprit, repliés sur eux-mêmes, intolérants et xénophobes ». Et de regretter un débat « hystérisé ».

Entre le Québec et le reste du pays, il y a en effet une véritable différence d’approche. Au niveau fédéral, le fait qu’une femme ait été autorisée par le passé à témoigner dans un procès entièrement voilée avait été vu par certains comme « un progrès ». Quant au niqab, il est même autorisé lors des cérémonies de citoyenneté. Difficile dans ces conditions pour les aficionados du multiculturalisme de comprendre la position des Québécois, influencés par la laïcité à la française. « Le voile est désormais perçu comme une composante même de l’identité canadienne, le symbole de la tolérance », explique Patrick Taillon, professeur de droit public à l’Université de Laval. Alors que pour les Québécois, le rôle de l’Etat ne devrait pas être la valorisation des religions mais plutôt une forme de retenue, du moins dans certains domaines.

Patrick Taillon ajoute : « Ce dossier autour de la laïcité interroge : le Canada, qui aime à se qualifier d’ouvert, peut-il tolérer un Québec ayant sa propre vision de la démocratie, des droits et de la citoyenneté ? ». Une question tranchée dimanche 31 mars par le Premier ministre du Québec, François Légault : « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit ! ». A bon entendeur.

Marianne

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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