Premier jésuite et non-Européen à devenir souverain pontife, le pape François est mort, lundi, à l’âge de 88 ans. L’Argentin, qui se voulait proche du peuple, a œuvré pour une Église sobre et a été à l’origine de nombreuses réformes au Vatican.
Surnommé « l’archevêque des pauvres » dans son pays d’origine, Jorge Mario Bergoglio n’aura eu de cesse de donner la priorité aux exclus. Le 13 mars 2013, le cardinal argentin de 76 ans, relativement méconnu, crée la surprise en étant élu au Vatican pour succéder à Benoit XVI, qui en démissionnant devint pape émérite jusqu’à sa mort en 2022.
Nul ne sait alors de quelle manière le 266e pape, qui a pris le nom de François, affrontera les dossiers épineux qui l’attendent : réformes de la Curie, abus sexuels dans l’Église, crises migratoires, ou encore positionnement de Rome à l’égard des LGBT+ ou du mariage pour les couples de même sexe.
Un indice sur l’orientation de son pontificat se trouvait dans le choix du nom du nouvel évêque de Rome. Jorge Mario Bergoglio, premier Latino-Américain et premier jésuite à accéder au pontificat, a été également le premier pape à choisir le nom de François, en hommage à Saint-François d’Assise, le saint des pauvres. Durant ses années passées au Saint-Siège, le souverain pontife aura continuellement dénoncé la pauvreté et l’exclusion, et critiqué le néolibéralisme et la corruption.
D’une santé dite fragile depuis une ablation pulmonaire à l’âge de 21 ans, le pape François est décédé au Vatican le 21 avril, à l’âge de 88 ans à la suite d’une pneumonie bilatérale (infection respiratoire touchant les deux poumons) pour laquelle il a été hospitalisé le 14 février. En convalescence depuis quatre semaines, il est apparu au balcon de la basilique Saint-Pierre à Rome, le jour de Pâques pour une bénédiction avant de s’offrir un bain de foule surprise à bord de sa « papamobile » place Saint-Pierre, dimanche 20 avril.
Depuis juin 2022, un genou douloureux l’avait contraint à se déplacer en fauteuil roulant, et à annuler certains de ses déplacements. Ce qui n’avait pas manqué de susciter les rumeurs sur sa démission.
La vocation à 17 ans
Jorge Mario Bergoglio est né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires au sein d’une famille modeste d’immigrés italiens. Son père, Mario José, originaire de Turin, est comptable, employé des chemins de fer ; sa mère, Regina Maria Sivori, originaire de Gênes, s’occupe des cinq enfants, dont le futur prélat est l’aîné. Après des études pour devenir technicien chimiste, sa vocation prend forme à l’âge de 17 ans, lors d’une confession. « Ce fut la surprise, la stupeur d’une rencontre ; je me rendais compte que l’on m’attendait. C’est ça l’expérience religieuse : la stupeur de rencontrer quelqu’un qui t’attend », confiera par la suite le souverain pontife.
Après avoir pris, à 21 ans, la décision d’entrer dans les ordres, Jorge Bergoglio intègre en 1958 le noviciat des jésuites à Cordoba, dans le centre de l’Argentine. Il prononce ses premiers vœux deux ans plus tard. Après des études de philosophie et de théologie, il enseigne la littérature, la philosophie et la psychologie. Puis il est ordonné prêtre à l’aube de ses 33 ans, le 13 décembre 1969.
Après une année passée en Espagne, il fait sa profession perpétuelle – son entrée publique dans la vie religieuse – chez les jésuites en Argentine, en avril 1973, à l’âge de 36 ans.
Après six années en tant que provincial (responsable régional) des jésuites d’Argentine, il devient recteur des facultés de théologie et de philosophie. Mais c’est en Allemagne, de 1986 à 1988, qu’il achève sa thèse de doctorat en philosophie et théologie.
Le 20 mai 1992, Jean-Paul II le nomme évêque auxiliaire de Buenos Aires. Cinq ans plus tard, il est promu archevêque coadjuteur de Buenos Aires – l’équivalent d’un cardinal-adjoint. Proche collaborateur du cardinal de la capitale argentine, Antonio Quarracino, Jorge Bergoglio lui succède à sa mort, en février 1998, comme archevêque de l’Église argentine, à l’âge de 61 ans. Il refuse de loger dans la résidence réservée aux prélats.
En 2001, devenu cardinal, il suggère aux fidèles de ne pas aller à Rome célébrer son cardinalat, et de plutôt donner aux pauvres l’argent prévu pour le voyage.
Après la renonciation surprise du pape Benoît XVI en février 2013, un conclave est convoqué. Le 13 mars, la traditionnelle fumée blanche s’échappe de la cheminée installée sur la chapelle Sixtine : le jésuite argentin, à la réputation d’homme simple et humble, est élu à la papauté.
Sa présentation à la foule, depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre, annonce une ère nouvelle : il apparaît vêtu simplement de la robe blanche et de sa croix pectorale en métal, sans les ornements pontificaux – tiare, croix en or, sceptre. Autre nouveauté, il appelle les fidèles à prier pour lui, avant de prononcer, lui, la bénédiction urbi et orbi. Ce moment donne à la cérémonie une grande sobriété. Le nouveau souverain pontife se place en fidèle et se met à égalité avec le peuple, rompant avec le style de ses prédécesseurs. Les Romains iront même jusqu’à dire « Non fa il papa » (« Il ne fait pas pape »).
« Mes gens sont pauvres et je suis un des leurs »
Prêchant une doctrine sociale de l’Église, Jorge Bergoglio a toujours été un pourfendeur acharné de l’ultralibéralisme. Lui qui a vécu sous la dictature militaire en Argentine – ce qui lui valut une polémique sur son attitude lors de cette période – a pris le parti des plus pauvres et donné la priorité aux exclus, aux déscolarisés et aux personnes sans couverture sociale. Ces choix se retrouveront dans son pontificat avec l’accent mis sur la cause des étrangers et des sans-papiers.
Dans les années 1990, alors que l’Argentine fait face à une lourde période de récession et que le président Carlos Menem applique une politique très libérale, Jorge Bergoglio le critique durement, l’accusant de « défaire toujours plus le tissu social ». Il incarne une autorité morale forte, et apparaît ensuite comme un farouche opposant au couple Kirchner, à la tête de l’Argentine de 2003 à 2015.
Ce passionné de football, supporter du club de San Lorenzo, a toujours été très apprécié dans son diocèse. Il l’a parcouru de long en large, aussi bien en métro qu’en bus, au cours des quinze ans de son ministère épiscopal. « Mes gens sont pauvres et je suis un des leurs », déclare-t-il à plusieurs reprises.
À Buenos Aires, Jorge Bergoglio, qui a toujours prôné un mode de vie simple, choisit d’être logé dans un appartement sobre, plutôt que dans une demeure luxueuse mise à sa disposition. Il se déplace en transports en commun, refusant la limousine de fonction.
« Guérir » la Curie
Nommé, selon certains, pour faire le ménage au Vatican, ce nouveau pape ouvre alors les chantiers épineux de la réforme de la Curie romaine – le gouvernement du Saint-Siège – et de son fonctionnement, ainsi que celui de la gestion des abus sexuels dans l’Église.
La Curie, jusqu’à son arrivée, fonctionnait de manière féodale. En 2014, dans un discours sévère, François lance une campagne visant à « guérir » l’institution de ses 15 maladies spirituelles (« rivalité », « vanité », « médisance », « Alzheimer spirituel »…) par le biais de 12 remèdes suggérés un an plus tard, orientés sur l’ouverture (aux laïcs notamment), l’égalité, le travail collectif, la décentralisation ou encore l’exemplarité…
Une fois la réforme lancée, il ouvre également de nouveaux ministères (Famille, Communication, Économie). Il transforme et assainit l’Institution pour les œuvres de religion (IOR), équivalent d’une banque du Vatican. Un quart des comptes y sont fermés, rationalisant ainsi sa gouvernance économique.
François donne plus de poids aux laïcs, mais aussi aux femmes, n’hésitant pas à en nommer à la tête de certaines commissions ou dicastères(équivalents de ministères au Vatican).
Autre évolution de taille : la rotation des membres de la Curie, nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable à la demande de la hiérarchie. Désormais, on vient au Vatican pour servir l’Église et non pour faire carrière. Le contrôle du pape sur l’administration en sort renforcé.
Le 7 décembre 2024, lors de son dixième et dernier consistoire, où 21 cardinaux sont créés, François prépare la gouvernance à venir de l’Église. Il poursuit ainsi son projet de diversification de la haute hiérarchie catholique au sein du Vatican et appelle à un changement de style, axé sur “l’aventure du chemin, la joie de la rencontre [et] l’attention envers les plus fragiles”.
François aura donc choisi plus de 78 % des 140 cardinaux « électeurs », ceux âgés de moins de 80 ans, qui prendront part au prochain conclave. Il s’assure d’une certaine façon la continuité des réformes entamées.
« Honte » face aux abus sexuels
Confronté à de nombreux scandales d’abus sexuels qui déclenchent des crises à répétition, François est obligé de réagir : exprimant sa « honte », il œuvre au changement de culture et à la réparation, et n’hésite pas à limoger certains cardinaux. Il soutient par ailleurs la démarche du rapport Sauvé de 2021 sur la pédocriminalité au sein de l’Église catholique de France.
Au sujet des accusations d’agressions sexuelles visant l’abbé Pierre, rendues publiques à partir de juillet 2024, le pontife déclare qu’au moment de sa mort en 2007, lui n’y était pas, mais le Vatican savait. Il ajoute “malgré tout le bien qu’il a fait, on découvre que cette personne est un terrible pécheur”.
Le pape François restera comme celui qui a fait avancer cette lutte, en exigeant que soient transmis de façon systématique les cas d’abus sexuels au sein des diocèses auprès des justices civiles.
“Qui suis-je pour juger”
Si, sur les questions sociales, le positionnement de Jorge Bergoglio reste le même tout au long de sa vie, il n’en est pas de même d’autres sujets de société : celui qui était farouchement opposé à l’avortement, au mariage homosexuel et à la contraception modère ses prises de position une fois devenu pape.
En 2010, Jorge Bergoglio s’était ainsi vigoureusement opposé à la loi légalisant le mariage homosexuel en Argentine. À l’époque, la virulence de ses propos sur l’homosexualité – « démon infiltré dans les âmes » – avait choqué. Il s’était aussi élevé contre le droit octroyé aux transsexuels de changer de sexe à l’état civil.
Mais une fois devenu pape, interrogé en juillet 2013 à bord de l’avion papal sur la question de l’homosexualité, François fait part de sa vision : « Si une personne est gay et qu’elle cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » En mettant l’accent sur « la miséricorde et le pardon », le souverain pontife laisse croire à un changement de paradigme dans l’Église.
En 2018, toutefois, François préconise la psychiatrie pour les enfants homosexuels, créant une nouvelle polémique et obligeant le Saint-Siège à rétropédaler. À noter qu’en 2025, année sainte, le 6 septembre aura lieu pour la première fois le jubilé des LGBT+.
“La violence n’apporte jamais la paix”
Pour sa première sortie après son élection, en juillet 2013, c’est sur l’île sicilienne de Lampedusa, en pleine crise migratoire, que François s’est rendu. Tenant un discours suivi par 10 000 personnes. Il y fustigeait « l’indifférence » du monde face à la mort de centaines de migrants venus d’Afrique tentant de traverser la Méditerranée et cherchant à “échapper à des situations difficiles”. Ce discours tenu depuis un lutrin fabriqué à partir d’un gouvernail et de rames donnait le ton d’un pontificat marqué par la préoccupation du secours des migrants ainsi que leur accueil et par la repentance et la demande de pardon. Entre autres aux réfugiés rohingyas au Bangladesh en 2017, aux peuples autochtones du Canada, et par une forte empathie envers les Palestiniens. Le pape François a constamment mis la lumière sur les plus faibles et placé un catholicisme fraternel au cœur des enjeux mondiaux.
Depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie à Gaza, François a toujours tenu un discours pacifique. Un an après les attaques, dans une lettre adressée aux catholiques du Moyen-Orient il avait prôné le dialogue et la paix, disant ne pas se “lasse[r] de répéter que la guerre est une défaite, que les armes ne construisent pas l’avenir mais le détruisent, que la violence n’apporte jamais la paix”.
Il réitérait quelque temps après, en décembre 2024, déplorant la “cruauté d’Israël” et de ses bombardements dans la bande de Gaza après une frappe sur une habitation civile : “c’est avec douleur que je pense à Gaza, à tant de cruauté, aux enfants mitraillés, aux bombardements d’écoles et d’hôpitaux”.
Messe géante au Vélodrome
Le pape François s’est rendu trois fois en France. En 2014, à Strasbourg, la visite éclair avait un caractère européen, puisqu’à l’invitation du Parlement de l’UE. Le pontife avait axé son discours, très applaudi, autour des thèmes de l’immigration, de la lutte contre la pauvreté et des droits humains. Appelant à “abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même”, il estime que “l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine […]”.
Presque dix ans plus tard, en septembre 2023, c’est à Marseille qu’il se rendait, accueilli telle une rockstar au stade Vélodrome. Il y célèbre une messe géante devant plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont Emmanuel Macron, en mettant l’accent sur l’accueil des migrants.
Enfin, début décembre 2024, alors qu’est célébrée la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, François décline l’invitation de l’Élysée. Le président des évêques de Paris donnera une interprétation : “La vedette de la réouverture […], c’est Notre-Dame, elle-même ; François ne souhaitait pas déporter les regards sur lui à cette occasion”. Il fera ensuite le choix de la Corse pour une visite en France. À noter que c’est l’évêque d’Ajaccio, François Bustillo, qui a été créé cardinal en 2023 par le pape François, et non l’évêque de Paris ; symbole toujours, du choix des mondes éloignés, et non du pouvoir.
Côté héritage écrit, François a publié trois encycliques, ces lettres solennelles adressées par le pape aux fidèles du monde entier, considérées comme les étapes spirituelles marquantes d’un pontificat. Après « Lumen fidei », sur la foi, en 2013, « Laudato si », publiée en 2015, est consacrée à la sauvegarde de la maison commune (autrement dit l’écologie). En 2020, « Fratelli tutti » se concentre sur la fraternité et l’amitié sociale.
Le Vatican avait annoncé le 18 février 2025 que le souverain pontife, hospitalisé pour la quatrième fois en quatre ans, souffrait d’une pneumonie bilatérale, et avait dû annuler ses engagements de fin de semaine. Son hospitalisation, qui avait relancé les interrogations sur sa santé fragile, était intervenue au début de l’année jubilaire de l’Église catholique, marquée par une longue liste d’événements, dont beaucoup sont présidés par le pape. François s’est éteint le 21 avril au Vatican à l’âge de 88 ans.
Face au conservatisme dans l’Église, aux crises mondiales, François aura été le pape des changements, incarnat une forme de lutte, en faveur des plus faibles, face aux tumultes du monde. Un pape humaniste en somme.
France 24