Algérie : la vie après le jihad

La réconciliation avec les anciens terroristes algériens de la décennie noire a été le leitmotiv d’Abdelaziz Bouteflika durant ses quinze années de pouvoir. Alors que son troisième mandat touche à son terme, cette doctrine a-t-elle porté ses fruits ?

À dr, Abassi Madani, fondateur du Front de l'Armée islamique. A G. Ali Belhadj, le numéro 2.

À dr, Abassi Madani, fondateur du Front de l’Armée islamique. A G. Ali Belhadj, le numéro 2. © AFP


 

Janvier 2000. Des dizaines de photographes et de reporters algériens et étrangers se pressent à Jijel, l’un des bastions du terrorisme, à 320 km à l’est d’Alger, pour rendre compte de ce qui doit être l’événement de l’année : la reddition, avec armes et bagages, de milliers de terroristes de l’Armée islamique du salut (AIS) en échange d’une « grâce amnistiante » offerte par le président Abdelaziz Bouteflika avec l’assentiment de l’armée. Plus de 6 000 combattants descendent des maquis et regagnent leurs foyers.

Cette reddition, négociée depuis octobre 1997 entre les chefs de l’AIS et de hauts gradés de l’armée, constitue l’une des pierres angulaires de la doctrine politique du chef de l’État : la réconciliation nationale pour ramener la paix dans cette Algérie meurtrie, traumatisée par une décennie de violences qui ont fait plus de 100 000 morts et des dizaines de milliers de disparus. Quatorze ans après sa mise en application, quel bilan tirer de ce processus, alors que le troisième mandat de Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, s’achève le 17 avril ? Que sont devenus ces jihadistes et leurs émirs ? Ont-ils renoncé à la lutte armée ? Regrettent-ils d’avoir pris les armes ? Se sont-ils enrichis, comme le laisse croire la vox populi ? Se sont-ils réinsérés dans la société ou sont-ils toujours des parias ?

Le climat de sécurité, fruit des lois sur la rahma

Redditions massives, libération de milliers de prisonniers condamnés pour subversion, extinctions de poursuites judiciaires pour les repentis, indemnisation des victimes du terrorisme et des familles de disparus… La réconciliation version « Boutef » a incontestablement contribué à ramener la sécurité. Hormis quelques centaines de desperados qui s’activent dans les maquis de Kabylie et dans l’extrême sud du pays, le terrorisme est aujourd’hui à l’état « résiduel », bien que ce terme soulève encore ricanements et haussements de sourcils. Mais ce climat de sécurité ne peut être attribué aux seuls effets de la politique de Bouteflika. Il est aussi le fruit des lois sur la rahma (« clémence ») initiées à l’égard des terroristes par le président Liamine Zéroual dès 1995. Tout comme il résulte d’efforts et de sacrifices consentis durant plus de deux décennies par les différents services de sécurité et de renseignements.

Si les Algériens louent volontiers les retombées de cette réconciliation, ils n’en éprouvent pas moins un sentiment d’injustice, de frustration, voire de colère dès lors que l’État a offert l’impunité aux anciens assassins et auteurs de massacres collectifs sans que ces derniers aient été tenus de s’expliquer, de s’excuser ou de se repentir de leurs actes devant les tribunaux ou, mieux encore, une commission de vérité et de réconciliation, comme ce fut par exemple le cas dans l’Afrique du Sud de Nelson Mandela.

Repères

Du FIS à Aqmi

FIS Front islamique du salut. Parti islamiste créé en 1989 et dissous en mars 1992, deux mois après l’annulation des résultats des législatives de 1991, qu’il avait remportées.

AIS Armée islamique du salut. Branche armée du FIS, fondée en 1994. Dirigée par Madani Mezrag, elle a annoncé une trêve en 1997 et a été dissoute officiellement en 2000.

GIA Groupes islamiques armés. Fondés en 1992 par des anciens du FIS, ils sont responsables de massacres de civils, d’assassinats de policiers et d’intellectuels, et d’attaques contre les étrangers.

GSPC Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Organisation armée dissidente des GIA, née en 1998. En 2007, le GSPC a été rebaptisé Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

La décennie noire et après…

Décembre 1991 Le FIS remporte le premier tour des élections législatives.

Janvier 1992 Rupture du processus électoral et démission du président Chadli Bendjedid.

Février 1992 Instauration de l’état d’urgence.

Octobre 1997 Trêve unilatérale de l’AIS et début des négociations avec l’armée.

Septembre 1999 Adoption par référendum de la loi sur la concorde civile.

Janvier 2000 Décret présidentiel portant sur la grâce amnistiante des membres de l’AIS.

Septembre 2005 Adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.

Jeune Afrique

 

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

Articles recommandés