Mohamed Aïssa : « Nous devons former des imams capables de parler aux jeunes »

ENTRETIEN – Docteur en sciences islamiques, Mohamed Aïssa a été nommé ministre des affaires religieuses en Algérie, le 5 mai 2014.

 

 

Mohamed Aïssa, ministre algérien des affaires religieuses (à droite) et Bernar...      Il a été pendant plusieurs années inspecteur général dans ce même ministère, chargé de contrôler les imams.

Quels sont, selon vous, les besoins prioritaires de la « communauté algérienne établie en France » ?

Mohamed Aïssa : Nous voyons les jeunes de la deuxième ou troisième génération d’immigrés revenir vers l’islam, après avoir rejeté leurs racines culturelles et traditionnelles : ils sont comme des « néo­convertis » et souffrent de ne pas être pris en charge par des imams suffisamment formés.

À mon sens, comme pour Bernard Cazeneuve, que j’ai rencontré, la priorité est de les « sécuriser » intellectuellement pour qu’ils ne cèdent pas aux nouveaux courants islamistes, qui instrumentalisent la religion à des fins politiques.

On ne peut pas concevoir d’importer dans un milieu citadin et français une pratique conçue pour une population bédouine ! Par des journées d’études, des « caravanes culturelles », nous voulons au contraire interpeller les jeunes et les ramener vers cet islam de tolérance et de modération qui fait partie de leur héritage.

Comment comptez-vous faire ?

M. A. : Pour être audible, ce discours ne peut être porté par des politiques, mais seulement par des leaders religieux. Nous ne parlons plus d’ailleurs d’islam « officiel » pour éviter de donner des arguments à ceux qui défendent un islam de « résistance »… Je refuse que le ministère envoie aux imams leur prêche du vendredi. Cela les discrédite.

Nous devons les responsabiliser, leur faire comprendre que leur mission n’est pas de convertir tout le monde mais d’aider leurs fidèles à vivre leur islamité en étant fidèles à leur patrie – et non à la communauté des croyants –, à l’aise dans la société où ils vivent. Ceci ne peut passer que par la formation.

Que prévoyez-vous ?

M. A. : Sans doute avons-nous fait l’erreur d’envoyer jusqu’ici des imams adaptés à la première génération d’immigrés. Nous devons désormais former des imams capables de parler aux jeunes vivant en France et ne connaissant souvent pas l’arabe.

J’ai signé en décembre avec le ministre de l’intérieur une « déclaration d’intention ». Nous nous sommes engagés sur une formation en trois volets : un enseignement fondamental en sciences islamiques en Algérie, dans un institut que nous allons hisser à un niveau universitaire ; un perfectionnement à l’Institut Al-Ghazali de la Grande Mosquée de Paris et enfin un passage obligatoire par l’un des diplômes universitaires sur la laïcité existant en France.

Vous êtes ministre « des affaires religieuses » et pas seulement islamiques. Que faites-vous pour la coexistence religieuse ?

M. A. : Je ne gère pas la vie religieuse des chrétiens et des juifs mais je partage avec eux des espaces de concertation. J’ai proposé, par exemple, la réouverture de certaines églises fermées dans des régions montagneuses en raison du terrorisme, à condition que leur sécurité soit assurée, ce qui signifie aussi leur acceptation par la société. J’attends l’adhésion de l’élite intellectuelle de notre pays pour revenir à cette coexistence harmonieuse qui prévalait autrefois.

Nous avons également instruit nos imams pour qu’ils refusent toute critique des autres religions et de leurs livres saints. Les Algériens doivent distinguer entre le sionisme occupant et la religion juive, entre la colonisation et la religion chrétienne…

L’Église catholique est-elle une réalité algérienne ?

M. A. : Le christianisme a toujours existé dans l’histoire de l’Algérie. L’Église catholique est une réalité algérienne et elle mérite tous les égards, d’autant qu’elle respecte parfaitement la loi. Je ne me souviens d’aucun incident récent, sauf d’excès de zèle de certains fonctionnaires.

À propos des problèmes de visas (rencontrés par certains religieux désireux de se rendre en Algérie, NDLR), je répète que je peux intervenir et me porter garant. Nous savons que quelques musulmans se convertissent au christianisme. Quand il s’agit de conversions sincères – ce qui est toujours le cas dans l’Église catholique – nous ne pouvons rien faire. D’autant que nous apprécions qu’elle ne coupe pas les convertis algériens de leurs racines. Mais nous savons que, dans d’autres Églises, les conversions ont aussi des motifs politiques.

Pensez-vous que l’enquête sur le meurtre des moines de Tibhirine arrivera un jour à son terme ?

M. A. : Je crois que oui. Avec l’engagement du président de la République et du premier ministre, l’Algérie est disposée à tout mettre en œuvre pour apaiser les tensions avec les autorités françaises et que l’on sache enfin que ce massacre a été commis par des terroristes.

Je souhaite de mon côté renouveler l’expérience initiée par le cardinal Philippe Barbarin – à laquelle j’avais participé (en 2007, NDLR) – d’un voyage islamo-chrétien à Tibhirine pour permettre aux chrétiens de prier pour leurs frères qui étaient réellement au service de l’Algérie et de leur Église.

 

La formation des imams ne pourrait-elle se faire en France ? Êtes-vous favorable à la création d’un institut de théologie musulmane en France ?

M. A. : Je ne peux m’exprimer sur ce qui serait une initiative franco-française. De notre côté, nous défendons l’idée que la formation se fasse en Algérie et que les imams soient ensuite détachés en France. Dans cet accord avec la France, nous nous sommes engagés à faire en sorte que cette formation soit en adéquation avec le contexte français.

Il n’y a que pour les aumôniers musulmans que nous concevons que leur formation ait lieu en France, selon les objectifs fixés par le ministère de l’intérieur.

Il appartient par ailleurs aux Français de décider d’ouvrir ou non des mosquées. Mais de notre côté, nous pensons que la multiplication des mosquées de quartier peut entraîner une perte de contrôle de leur discours…

 

La Croix

 

F. Achouri

Sociologue.

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