« L’idée que l’islam est en train de remplacer le christianisme n’est pas vraie »

      « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » André Malraux avait-il des dons de prémonitions ? Était-il si évident qu’au nihilisme du XXe siècle allait succéder une période de renouveau religieux ? Le XXIe siècle est entré dans l’histoire par la porte du 11-Septembre et, depuis, dans toutes les régions du monde, les mouvements fondamentalistes, radicaux, identitaires, apocalyptiques semblent en pleine progression. Le phénomène État islamique (EI), le poids des mouvements évangélistes aux États-Unis, la propagation des discours identitaires qui mêlent le religieux au politique en Europe, en Inde, en Russie semblent être autant d’exemples du retour de Dieu. Mais un retour dans des habits nouveaux qui s’inscrit dans le contexte de la postmodernité. Le chercheur français Olivier Roy, directeur du programme Religio West et enseignant à l’Institut européen universitaire (EUI), à Florence, auteur de La Sainte ignorance (Paris, Le Seuil, 2008), est notamment connu pour ses réflexions sur la place de la religion au XXIe siècle. En marge de la conférence sur l’état de l’Union, qui s’est tenue dans la ville toscane les 5 et 6 mai, il a livré son analyse à L’Orient-Le Jour sur la question religieuse au XXIe siècle.

À l’aube du XXIe siècle, assiste-t-on à un retour du religieux ?
Ce n’est pas un retour du religieux parce qu’on ne revient pas du tout à une situation qui existait antérieurement. Il s’agit d’une mutation du religieux qui, aujourd’hui, se déculturalise et se globalise. Donc il est soudainement beaucoup plus visible. Surtout, sa déculturalisation entraîne la prévalence de formes fondamentalistes du religieux. De nos jours, les gens ne vont pas vers des religions disons socialement bien intégrées, culturellement enracinées. Ils veulent des religions dures, c’est-à-dire du religieux qui se positionne explicitement en face d’une société sécularisée, qu’ils ne rejettent pas nécessairement, mais qu’ils veulent convertir. Je crois que c’est ça la caractéristique de cette illusion du retour du religieux.

 

Quelle est la secte qui progresse le plus aujourd’hui ?
Au cours des vingt dernières années, ce serait le pentecôtisme, une forme de protestantisme, qui se serait développé le plus. D’autant plus que cette religion est partie de 0, en 1900, à Los Angeles. Le pentecôtisme fait une percée très importante en Afrique de l’Ouest, du centre, en Amérique latine. En Europe également, notamment dans les milieux émigrés. Quand on regarde d’un point de vue global, l’idée que l’islam est en train de remplacer le christianisme n’est pas vraie.

Est-ce que nous nous trouvons à la fin de l’époque nihiliste ?
Aujourd’hui, nous avons une réforme millénariste apocalyptique du religieux. C’est-à-dire qu’on attend la fin des temps. C’est un peu délicat de dire que d’attendre la fin des temps, c’est du nihilisme parce que, pour le croyant, ce n’est évidemment pas le cas. Mais il y a une espèce de désinvestissement du monde réel. On le voit très bien chez les évangéliques américains, par exemple, qui rejettent la théorie du réchauffement climatique. Ils ne s’imaginent pas que Dieu va arranger les choses de lui-même, mais ils sont dans une logique de fin des temps. Pour eux, nous nous trouvons dans l’Apocalypse. On constate, et cela a très bien été étudié par Jean-Pierre Filiu (L’Apocalypse dans l’islam, Fayard), qu’il y a un retour des visions apocalyptiques chez les musulmans également. Le groupe État islamique (EI) joue d’ailleurs sur l’apocalypse avec sa fixation sur le village de Dabiq en Syrie. En ce sens, les croyants désinvestissent la société parce qu’ils pensent que, aussi bien dans le christianisme que dans l’islam apocalyptique, l’Antéchrist et le Christ vont revenir.

 

Est-ce que les questions religieuses sont déterminantes au sein de l’espace politique ? Je pense notamment aux discours des différents candidats à la Maison-Blanche par exemple…
Elles sont très importantes sous deux formes. La première est la guerre des valeurs, ce que les Américains nomment « the cultural war ». Cette forme va faire que les débats vont porter sur l’avortement, le mariage pour tous et ainsi de suite, et pas tellement sur la propriété collective des moyens de production. Même si, curieusement, les évangéliques américains sont contre la fiscalité, alors que les catholiques ne disent rien sur l’économie, dont ils se fichent complètement, car ils ne considèrent pas cette question faisant partie du religieux. Cette guerre des valeurs se passe aussi à l’intérieur des Églises. Les luthériens sont du côté des mouvements progressistes aujourd’hui, sur la question des valeurs, même s’ils peuvent être plutôt conservateurs sur le plan économique.
Le second point, qui est propre aux États-Unis, est la question de la foi de l’homme politique. Il y a très nettement une réticence chez beaucoup d’évangéliques américains à voter pour un candidat qui ne serait pas explicitement un « Born Again ». C’est pour cela que Bernie Sanders, qui est ouvertement athée, est très mal vu et que Donald Trump rencontre également une opposition parmi certains évangéliques car on ne peut pas dire qu’il affiche une pratique religieuse intense.

Comment les partis d’extrême droite abordent-ils la question religieuse ?
Les extrêmes en font essentiellement une question d’identité. Il est très clair que les extrêmes ne mettent pas en avant les valeurs de charité chrétienne. Même quand ils se réclament expressément du christianisme, comme c’est le cas du PiS polonais (parti Droit et Justice) qui est anti-immigration. Alors que le pape demande constamment aux Européens et à l’Église d’ouvrir les portes aux immigrés. Donc on voit très bien que cette question des valeurs chrétiennes ne porte justement pas sur les valeurs chrétiennes. Elle porte sur une identité séculaire européenne, qui est en quelque sorte l’identité de l’identité. Ce qu’ils disent est « nous, c’est nous, et les autres, ce sont les autres », ce qui, par définition, est le contraire du message évangélique.

 

L’Orient Le Jour

F. Achouri

Sociologue.

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