Ramadan 2023, en direct sur TikTok !

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Après trois ans de tumultes en tout genre qui ont éprouvé autant les corps que les esprits, les musulmans de France ont entamé le 23 mars dernier un mois de jeûne sous tension. En pleine crise économique, avec une inflation inédite sur les produits de consommation courante, nombreux sont ceux qui regarderont à deux fois leur porte-monnaie avant de se lancer dans certains achats. Peut-on espérer que l’adversité économique à laquelle nous faisons face occasionne un recentrage spirituel plus intense, focalisant moins sur les modes alimentaires qui fleurissent à l’approche du Ramadan ? Rien n’est moins sûr. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater le déploiement massif de produits halal « spécial Ramadan » sur les étals des supermarchés, un foisonnement inversement proportionnel au principe du jeûne – et donc de la restriction – révélateur de l’importance accordée à l’alimentation. Les rayons estampillés « halal » sont pleins et n’attendent plus que les consommateurs labellisés « halal ».

Autre pratique à succès, cette année encore : les tarawih. En effet, l’assiduité à ces prières collectives du soir consacrées à la lecture du Coran, si elles revêtent un caractère socialisateur certain, contrastent paradoxalement avec les motivations des pratiquants. De quel paradoxe parlons-nous ? En premier lieu, celui du paraître et de l’intention première. La conscience communautaire serait ainsi « vivifiée » du fait que le pratiquant vit dans un quartier dit communautaire et qu’il est bien vu de se montrer à la mosquée au milieu de ses coreligionnaires. Paradoxe encore, quand la forme et l’apparence prennent le pas sur l’esprit d’adoration, l’ardeur du sentiment, la sincérité et la spontanéité. Il n’est pas rare, par exemple, qu’au cours des tarawih, l’imam fasse son prêche devant un auditoire distrait, plus préoccupé par le désir de remettre le compteur de ses péchés à zéro et de récolter les hassanat, ou bonnes actions, comme des bons points distribués par un imam. Ce dernier, sur un ton apologétique et moralisateur s’appuie sur un système double de gratifications-sanctions et réduit finalement ce mois béni à une course aux hassanat, dont l’accumulation, bien entendu, assurerait aux fidèles présents l’accès direct au Paradis.

Mais tout ce beau cérémonial est perturbé cette année encore par un adversaire de taille : les réseaux sociaux. La prière collective du soir, surtout au sein des grandes mosquées, est devenue le théâtre d’une cacophonie sans nom. Les bavardages, en particulier côté femmes, les cris d’enfants, les sonneries de portable, mais plus grave encore, les personnes qui se publient dans des stories TikTok ou Snapchat, rompent avec la solennité du moment tout en perturbant le recueillement des croyants. Des femmes voilées importent au sein du lieu de culte les réseaux sociaux, en particulier TikTok, qu’elles utilisent en permanence et au quotidien, et s’affichent sans vergogne et futilement au cœur de la mosquée. Pratique étonnante pour une catégorie d’individus qui vante en permanence les mérites de la pudeur à travers le voile. Une pollution sonore et visuelle pour les autres participants qui résume un tant soit peu l’état de délabrement dans lequel se trouve la communauté musulmane, en raison notamment de l’usage intempestif du smartphone. Ajoutons également que, pour de nombreuses personnes, se rendre à la mosquée le soir est avant tout motivé par le fait de se retrouver entre copains autour d’un repas offert, mais aussi de faire la rencontre de ce qu’elles appellent un ou une « halal », c’est-à-dire un homme ou une femme, en vue de nouer une relation amoureuse. Nous voyons ici que la motivation religieuse est cantonnée au second plan, la prière du soir étant assimilée davantage à un moment de festivité qu’à un temps de pratique spirituelle.

Cette réalité, symptomatique de la sécularisation d’un côté et d’une logique marchande de l’autre, a fini par appauvrir la pratique, notamment du jeûne, en la réduisant à sa simple dimension de privations, et qui n’empêche pas le néomusulman, ou musulman du XXIe siècle, asservi au matérialisme et esclave de ses instincts primaires, de se représenter malgré tout en « bon » musulman durant le Ramadan. Très peu de voix au sein de la communauté musulmane, ici ou ailleurs, s’élèvent pour dénoncer l’hypocrisie ambiante autour du mois de jeûne, qui révèle que nombre de croyants se considèrent comme la meilleure des communautés parmi les gens du Livre mais en oublient de respecter la sacralité d’un lieu de culte et s’autorisent des comportements déviants la journée et après la rupture du jeûne. Les musulmans expérimentent une crise de la cohérence, voire même une crise du langage où la schizophrénie est prégnante. Des individus malades de leur incohérence et de leur fausse soumission à Dieu avec, d’un côté, des personnes qui veulent conserver toutes les traditions et les coutumes ancestrales, enracinées dans l’islam des origines et, de l’autre, celles qui choisissent de vivre selon les valeurs occidentales, prétendant abandonner les valeurs de l’islam tout en étant imprégnées de relents d’une tradition biaisée. Et dans ce fossé, un syncrétisme mêlant tradition et modernité d’une masse protéiforme de musulmans qui ignorent les principes de l’islam mais qui croient les appliquer. Fait aggravant, celui d’une jeunesse dont l’initiation ne se passe plus que sur Internet, espace de toutes les perditions, qui constitue en soi une contre-initiation. Sur Internet, le musulman se retrouve en effet dans un cybermonde où la parole de Dieu est libérée en dehors des structures classiques. C’est le lieu de l’autodidactisme, qui représente un danger, surtout pour les jeunes et les plus vulnérables, des individus rivés en permanence sur leur portable qui butinent et consomment des informations tous azimuts et qui, dans le pire des cas, n’ont jamais ouvert un Coran.  Nous le voyons au quotidien à travers la sémantique, les comportements névrosés éloignés de Dieu et sans aucun discernement, qui prouvent que l’œuvre du Diable a fait son chemin.

 

Saint-Augustin divisait le genre humain en deux ordres, l’un constitué de ceux qui vivent selon l’homme, et l’autre de ceux qui vivent selon Dieu. Le premier ordre semble dominer au sein de la communauté musulmane, où chacun accepte de vivre au sein d’une société qui ne cesse d’attenter à la dignité de l’homme. Où la compassion pour l’autre qui souffre, proche ou lointain, est occultée par une majorité de croyants. L’islam est pourtant fortement inspiré de l’idée de liberté, où la responsabilité de l’homme et la justice de Dieu présupposent le libre arbitre et invite chaque musulman au bel agir. C’est dans ce creux que se bâtissent les tragédies que nous connaissons aujourd’hui, avec un État de plus en plus autoritaire qui lèse les plus fragiles d’entre nous. Il en va de la responsabilité des grandes religions et de leurs représentants, en cette période sombre, de rappeler l’opportunité pour chacun de renouer avec sa spiritualité intérieure. La tâche est certes ardue dans cet entre-deux où le virtuel et le réel s’entrechoquent violemment, mais elle est plus que nécessaire en ces temps chaotiques. La fin de cycle que nous expérimentons devrait être l’opportunité d’un aggiornamento qui nous élèvera vers la Lumière afin de nous extirper des affres terrestres, qui risquent bien de devenir la norme si nous ne réagissons pas.

 

Fatima Achouri

 

F. Achouri

Sociologue.

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