Face à la colère du monde musulman contre Macron, la France demande à ses ressortissants de « faire preuve de vigilance »

La colère contre Emmanuel Macron ne cesse de grandir dans le monde musulman, après que le président français a défendu la liberté de caricaturer le prophète Mahomet, lors d’un hommage national à Samuel Paty – le professeur assassiné dans un attentat islamiste le 16 octobre pour avoir montré de telles représentations en classe.

Ce week-end, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a pris la tête de cette contestation mettant en cause la « santé mentale » de M. Macron, l’accusant de « diriger une campagne de haine » contre les musulmans et comparant le traitement de ces derniers en Europe à celui des juifs avant la deuxième guerre mondiale. Lundi 26 octobre, il a également appelé au boycott des produits français.

Malgré ces accusations, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a défendu mardi la « souveraineté de la France » et sa volonté de lutter contre « un ennemi de l’intérieur ».

  • Paris invite ses ressortissants à la prudence

Paris a invité mardi ses ressortissants à la prudence dans les pays du monde musulman où ont lieu des manifestations contre la France, leur conseillant d’éviter les rassemblements. « Il convient d’éviter les zones où se tiennent ces manifestations, de rester à l’écart de tout rassemblement et de suivre les consignes de l’ambassade de France ou du consulat compétent », écrit le ministère des affaires étrangères sur son site internet.

« Il est recommandé de faire preuve de la plus grande vigilance, en particulier à l’occasion des déplacements, et dans les lieux fréquentés par les touristes et les communautés expatriées. »

  • L’Arabie saoudite condamne les caricatures

Considérée comme une alliée de la France, l’Arabie saoudite a condamné à son tour les représentations jugées offensantes du prophète Mahomet, rapporte l’agence Reuters. Dans un communiqué, un responsable du ministère des affaires étrangères a toutefois déclaré que le royaume condamnait tous les actes terroristes, faisant référence à la décapitation de Samuel Paty par un musulman radicalisé.

« La liberté d’expression et la culture devraient être les phares du respect, de la tolérance et de la paix, rejetant les pratiques et les actes qui engendrent de la haine, de la violence et de l’extrémisme et sont contraires à la coexistence », est-il dit dans ce communiqué repris par les médias saoudiens.

  • Des dizaines de milliers de manifestants au Bangladesh

Au Bangladesh, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté mardi à Dacca, appelant au boycott des produits français et brûlant une effigie d’Emmanuel Macron, rapporte de son côté l’Agence France-Presse (AFP). Selon la police, plus de 40 000 personnes ont participé à cette marche organisée par l’Islami Andolan Bangladesh (IAB), l’un des principaux partis islamistes bangladais, qui a été stoppée avant de parvenir près de l’ambassade française dans la capitale.

« Macron fait partie des quelques dirigeants qui adorent Satan », a déclaré à la foule rassemblée à la mosquée Baitul Mukarram un haut responsable de l’IAB, Ataur Rahman. Il a appelé le gouvernement bangladais à « mettre dehors » l’ambassadeur français. Un autre dirigeant islamiste, Hasan Jamal, a pour sa part déclaré que les protestataires allaient « mettre à terre chaque brique » de l’ambassade si l’ambassadeur n’était pas renvoyé.

  • Pour Kadyrov, Macron pousse les musulmans « vers le terrorisme »

Le dirigeant de la république russe de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a lui aussi violemment critiqué mardi Emmanuel Macron, estimant qu’il pousse les musulmans « vers le terrorisme ».

Comparant M. Macron lui-même à un « terroriste », l’autoritaire dirigeant tchétchène a reproché au président français de « qualifier des actions qui sont offensantes pour près de deux milliards de musulmans du monde de liberté d’expression » et de vouloir « changer leur religion ».

Et de poursuivre dans un long message sur sa chaîne Telegram :

« Je ne sais pas dans quel état se trouvait Macron lorsqu’il a fait cette déclaration, mais les conséquences d’une telle réaction peuvent être très tragiques. »

Les critiques à l’encontre de la France sont particulièrement virulentes au Pakistan, où le Parlement a adopté une résolution non contraignante réclamant le rappel de l’ambassadeur à Paris.

  • Le Conseil des sages musulmans veut poursuivre « Charlie Hebdo »

Le Conseil des sages musulmans, sis à Abou Dhabi, a, de son côté, annoncé son intention de poursuivre Charlie Hebdo. Ce conseil, regroupant des dignitaires musulmans de divers pays, « a décidé de mettre en place un comité de juristes internationaux pour poursuivre en justice Charlie Hebdo », fait savoir un tweet publié mardi sur le compte de l’institution sunnite Al-Azhar, située au Caire. Le conseil, présidé par le grand imam d’Al-Azhar, affirme qu’il envisage également de « poursuivre en justice quiconque offense l’islam et ses symboles sacrés ».

« La liberté d’expression (…) doit respecter les droits d’autrui et ne devrait pas permettre d’utiliser les religions dans les marchés de la politique ou dans la propagande électorale », affirme le conseil.

  • Un boycott des produits français éloignera « encore plus la Turquie de l’UE »

Face au barrage de critiques turques, le président français a toutefois enregistré une série de soutiens en Europe. Bruxelles a notamment prévenu mardi que l’appel au boycott des produits français par le président turc était « contraire à l’esprit » des accords diplomatiques et commerciaux signés par la Turquie avec Bruxelles, et l’« éloignera encore plus » de l’Union européenne. « Les accords de l’UE avec la Turquie prévoient le libre-échange des marchandises. Les obligations bilatérales que la Turquie s’est engagée à respecter dans le cadre de ces accords (…) doivent être pleinement respectées », a affirmé un porte-parole de la Commission européenne.

« Il n’est pas question de céder au chantage », a dénoncé Geoffroy Roux de Bézieux, le chef du Medef, le principal syndicat patronal en France, appelant les entreprises françaises à faire passer leurs « principes » avant les affaires.

D’après le ministre français délégué au commerce extérieur, Franck Riester, le boycott des produits français est « très circonscrit », « limité à un certain nombre de produits alimentaires, mais vraiment de façon très limitée ». Et de détailler :

« Nous sommes évidemment très attentifs. J’ai créé au sein du ministère des affaires étrangères une cellule de suivi de ce qui se passe, pays par pays, en lien avec notre réseau diplomatique et en lien avec les entreprises et les différentes fédérations d’entreprises. »

Le Monde / AFP

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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