Le rouleau de la Torah le plus ancien jamais découvert vient d’être retrouvé à l’Université de Bologne, en Italie. Le chercheur Mauro Perani, à l’origine de cette découverte historique, nous en dit plus.
Depuis l’Antiquité, le rouleau est le support traditionnel utilisé dans le judaïsme pour consigner les Écritures, les chrétiens ayant en revanche préféré le codex (l’ancêtre de nos livres, réalisé en papyrus ou sur parchemin, relié et muni d’une couverture), plus facile à consulter et moins coûteux à la fabrication.
Le rouleau découvert à Bologne fait 36 mètres de long et 64 centimètres de haut: il contient le texte complet des cinq premiers livres de la Bible – le Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome). Le Monde des Religions a voulu en savoir plus auprès de Mauro Perani, titulaire de la chaire d’Etudes hébraïques à l’université Alma Mater de Bologne, à l’origine de la découverte. Interview.
Comment avez-vous découvert ce nouveau rouleau de la Torah ?
Il ne s’agit pas d’une découverte mais plutôt d’une redécouverte. Ce rouleau, en effet, se trouvait à la bibliothèque universitaire de Bologne depuis longtemps. Lors de la compilation du catalogue d’une trentaine de manuscrits hébraïques, effectuée en 1889, le bibliothécaire de l’époque, Leonello Modena, natif de Cento (petite bourgade entre Bologne et Ferrare), n’avait consacré que quelques lignes à la description de ce manuscrit. Il le datait du XVIIe siècle, et jugeait sévèrement le travail du copiste qui l’avait réalisé ainsi que la qualité de l’écriture, tout à fait médiocre à son avis ; il la qualifia même de « goffa », c’est-à-dire « inélégante ».
J’ai moi-même été amené à refaire le catalogage de la collection des manuscrits hébraïques de l’université de Bologne, une petite collection d’environ 36 pièces, et du rouleau de la Torah en question. Intrigué par son écriture et sa facture, qui me paraissaient bien plus anciennes que ce qu’en avait dit le bibliothécaire à la fin du XIXe siècle, je demandai des expertises au carbone 14. Cette technique, en effet, permet aujourd’hui de dater, de façon précise, l’époque de la rédaction d’un manuscrit. Le manuscrit a donc été soumis à un laboratoire spécialisé de l’université de Salento (à Lecce, sud de l’Italie) : le résultat obtenu, il y a quelques jours, a fixé sa datation entre la deuxième moitié du XIIe siècle et le milieu du XIIIe siècle. Cette information a été confirmée par le laboratoire l’université de Chicago, également consulté.
Quelle est l’origine de ce rouleau de la Torah ? S’agit-il d’un manuscrit réalisé en Italie ou a-t-il une autre provenance ?
Ce manuscrit a sans doute été réalisé en Orient, mais il n’est pas possible de savoir où : peut-être en Babylonie, où la présence juive était très importante, en Palestine, ou en Afrique du Nord. Le manuscrit a peut-être été amené en Italie depuis l’Orient par un voyageur juif, voir même par un chrétien converti au judaïsme. En tout cas, l’écriture hébraïque utilisée est sans doute de type oriental.
A-t-on une idée de qui possédait ce manuscrit, avant qu’il ne parvienne à la bibliothèque de Bologne ? Peut-être une des florissantes communautés juives de la région ?
L’hypothèse la plus probable est que ce manuscrit faisait partie de la bibliothèque d’un monastère. Au Moyen Âge, dans les monastères, véritables foyers de culture, on portait en effet le plus grand intérêt aux manuscrits hébraïques, et plus généralement aux manuscrits orientaux. Entre le XIIe et le XIIIe siècle, on assiste, en Italie comme en France, à une renaissance des études bibliques fondée sur une analyse philologique des textes. L’œuvre de Rachi de Troyes – immense érudit, talmudiste et commentateur des textes sacrés – en est le témoignage le plus éclatant. Tout autant que les savants juifs, les moines érudits se consacraient à l’étude des Écritures, et les monastères devinrent un lieu privilégié pour la conservation et la transmission des manuscrits.
Quelles pistes de recherche peuvent-elles se dégager à partir de cette découverte ?
Il est intéressant de remarquer que l’un des plus grands savants juifs de tous les temps, Maïmonide – qui naquit à Cordoue, en Andalousie en 1138 – fournit, dans son ouvrage Michné Torah (Répétition de la Torah), une norme sévère, à l’intention des copistes et des scribes, sur la façon dont la Torah doit être recopiée. Cette norme doit être très soigneusement respectée car la Torah est un objet sacré, devant être entouré de toutes les précautions. Evidemment, il a fallu du temps pour qu’elle soit effectivement appliquée dans le judaïsme. Or, l’intérêt du rouleau de la Torah retrouvé dans notre bibliothèque est qu’il n’est pas conforme à cette norme, car il contient des lettres et des signes qui seront interdits selon celle-ci.
Source : Le Monde des Religions