C’est désormais écrit noir sur blanc. Le projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires », présenté mercredi 17 juillet en conseil des ministres, stipule, art 1 bis, que « le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité », précisant que « le fait pour un fonctionnaire de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations ».
« Ce n’est pas tellement nouveau, explique Brigitte Jumel, secrétaire générale de la CFDT fonctionnaires. Depuis toujours, l’agent a le droit d’avoir ses convictions religieuses mais pas le droit de les manifester dans le cadre de ses fonctions. Mais jusqu’ici ce principe, qui est consacré par la jurisprudence, n’était pas inscrit dans la loi, c’est la seule chose qui change. »
Une jurisprudence bien installée
Si le terme laïcité ne figurait effectivement pas dans le précédent statut général des fonctionnaires, écrit en 1983, et qui consacre en revanche la liberté d’opinion (politique, syndicale, philosophique ou religieuse) des agents, il découle d’autres principes de droit. D’abord, la loi de 1905 consacre la séparation de l’Église et de l’État, lequel a du coup l’obligation de ne favoriser aucune confession religieuse. Ensuite, la liberté de conscience est définie par l’art 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Par ailleurs, la Constitution de 1958 décrète l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de race, ou de religion. Le service public lui-même est régi par un certain nombre d’impératifs, dont l’égalité d’accès.
Enfin, en 1986, le Conseil constitutionnel a posé en principe la nécessaire neutralité du service public comme la garantie de l’égal accès de tous aux missions qu’il assure. En 2000, le Conseil d’État, appelé à juger le cas d’une surveillante scolaire qui manifestait ses croyances religieuses en portant une coiffe, a d’ailleurs entériné le fait que le principe de laïcité « fait obstacle au droit des agents de manifester leurs croyances religieuses ».
Bref, autant dire que le projet de loi ne fait que graver dans le marbre un principe déjà bien connu dans le public. À la différence des établissements privés, où l’affaire Baby Loup, cette crèche privée qui avait licencié une salariée voilée et à qui la Cour de cassation a donné tort en mars, a relancé la polémique.
Des fonctionnaires de plus en plus sensibles à la question
Toutefois, estime Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de la fonction publique, ce texte de loi intervient dans un contexte bien particulier. « Ce texte conforte les fonctionnaires dans des valeurs, comme la laïcité, auxquelles ils sont très attachés dans un contexte où de plus en plus d’agents se sentent pris entre, d’une part, le marteau de la réduction des effectifs et de la stagnation salariale et, d’autre part, l’enclume de la pression, toujours plus grande des usagers, avec un rejet de plus en plus fort du communautarisme, notamment chez les employés affectés dans des guichets. Désormais, 67 % des agents de niveau d’études inférieur ou égal au bac pensent qu’il y a trop d’immigrés en France. »
En dépouillant les résultats électoraux de la présidentielle de 2012, le chercheur a aussi observé une « très forte montée du vote Front national » : « Dans la fonction publique d’État, 16 % des agents ont voté Marine Le Pen au premier tour, contre 9 % pour son père en 2007 ; dans la territoriale, on est passé de 12 à 17 % ; dans l’hospitalière de 15 à 19 %. Et dans les entreprises publiques, comme la SNCF et EDF, le vote FN a grimpé de 11 à 22 %. C’est du jamais vu. »
Source : La Croix