« C’est une injustice de ne pas pouvoir travailler avec son voile »

Elles le portent sombre et strict, serré sous le menton ou noué sur la nuque, en voile ou en turban, fleuri ou assorti à leur tenue du jour, un tailleur ou une longue tunique unie, agrémenté de maquillage ou en toute sobriété. Passées par des lycées publics où le port du voile est interdit depuis 2004, ou scolarisées en lycées privés catholiques où il n’était pas forcément le bienvenu, ces jeunes musulmanes voilées suivent aujourd’hui des études supérieures ou viennent de terminer leur cursus.

Pour l’instant, la loi leur permet d’étudier ainsi, même si le Haut conseil à l’intégration recommande d’interdire les signes religieux à l’université. Mais dans le monde du travail, nombre de femmes se défont de leur foulard à la porte du bureau. En dépit des « peurs » et de possibles débats à venir sur le port du voile en entreprise, les jeunes femmes que nous avons interrogées se montrent relativement « optimistes ». Elles parient sur leurs diplômes et « l’évolution des mentalités » pour trouver du travail.

  • Saïda Ounissi, 26 ans, doctorante en sciences politiques à Paris-I

Lorsqu’elle est entrée à l’université, Saïda a pensé que « cela allait être compliqué » d’étudier avec son voile. Finalement, un seul incident a émaillé sa scolarité. « En master 1, un prof m’a virée car il estimait que je prônais un « islam politique » ; j’ai porté plainte et l’affaire s’est réglée par la médiation au sein de l’université. » Saïda se savait « dans son droit ».

« Ça a donné lieu à des discussions et des étudiants m’ont dit qu’eux aussi pensaient que je dépassais les bornes. Ils se sont demandé s’il ne fallait pas étendre la loi de 2004 à l’université, au nom de la neutralité. Moi je n’ai jamais rien organisé à la fac alors qu’il y a une aumônerie catholique très active et le syndicat des étudiants juifs, l’UEJF ! Comme on se sent tout juste tolérées, on ne la ramène pas ! »

La jeune femme au foulard strict achèvera sa thèse dans dix-huit mois ; elle regrette de ne pouvoir donner des cours de TD avec son voile : « C’est dommage, parce que j’étais boursière et j’ai coûté de l’argent au pays. » Comme beaucoup de ses amies, elle espère que les mentalités vont évoluer. « On se dit toutes que cela va finir par arriver, car c’est une injustice de ne pas pouvoir travailler avec son voile. »

« Aujourd’hui, pour moi, ce serait difficile, physiquement et psychologiquement, de l’enlever. Beaucoup de femmes qui travaillent dans la finance le font ; mon luxe est de savoir que je peux bosser ailleurs qu’en France. » Saïda envisage de travailler dans une organisation internationale.

  • Marwa, 25 ans, orthoptiste en province

Tout au long de ses études et de ses stages, Marwa a jonglé entre les bandeaux, les bonnets, les bandanas, les serre-tête, les accessoires de mode lui permettant de dissimuler ses cheveux. « Pour moi, il était important de porter le voile, tout en étant intégrée professionnellement. C’était une manière de sortir du cliché « femme voilée = femme au foyer » ».

Elevée dans la campagne normande, Marwa a choisi une profession libérale « en partie à cause du voile. Je savais que cela me simplifierait la vie ». Installée depuis deux ans dans le centre d’une ville de province avec une collègue non musulmane, elle porte le voile noué sur la nuque. « Tant que je fais bien mon travail, cela ne pose aucun problème aux patients, même si, vu la société dans laquelle on vit, les gens sont parfois méfiants », assure-t-elle. Elle trouve « un peu fatigant tous les débats sur le voile ». « On est Françaises, on aimerait être considérées comme tout le monde, sans avoir toujours à se justifier. »

  • Karima, 21 ans, quatrième année à Sciences Po Paris, spécialisée en ressources humaines

Pour trouver un stage, et bientôt un emploi, Karima a une stratégie : « Je ne mets pas de photo sur mon CV car je veux que l’on voie d’abord mon expérience et mes diplômes ; par contre, je me présente voilée aux entretiens. Et, jusqu’à présent, je n’ai pas eu de remarques », assure la jeune fille, qui décrit sa tenue comme « très corporate » : « Petite veste et couleur du voile assortie ». « L’idée c’est de se fondre dans l’univers de l’entreprise, sauf que j’ai un foulard sur la tête ! »

Karima a poursuivi ses études et passé tous ses examens voilée : « Ce serait paradoxal de devoir le retirer pour trouver un boulot. En faisant des études, j’ai plutôt montré une ouverture d’esprit, j’ai été confrontée à la mixité et au final on me renverrait chez moi. C’est du gâchis, c’est contre-productif et c’est une réaction franco-française ! Je sais que c’est possible de travailler avec le voile et ceux qui ne veulent pas de moi voilée, tant pis pour eux. »

  • K., 22 ans, deuxième année de médecine, et Myriam, 22 ans, quatrième année, à Paris-VI

Dans sa promotion de 327 étudiants, trois filles sont voilées et K., au long voile sombre encadrant strictement son visage, n’a jamais rencontré « aucun problème ni en amphi ni en travaux dirigés ». Mais elle se souvient avec amertume de son premier stage en soins infirmiers. « Je portais un bandeau et on m’a dit que c’était interdit, sans discussion. Je l’ai enlevé, car je veux poursuivre mes études, mais cela m’a brisé le cœur. »

Lors de son deuxième stage, le voile « porté en turban pour ne pas qu’il tombe sur les patients » n’a posé aucun souci. S’il le faut, elle l’enlèvera de nouveau, car cette jeune fille venue de banlieue parisienne ne peut pas faire ses études ailleurs.

Les yeux soulignés de crayon noir, Myriam porte un volumineux foulard fleuri, sur une tenue fashion ; comme K., la jeune fille a récemment été convoquée par son chef de service qui lui a demandé de retirer son voile. « Il n’a même pas voulu que je garde la charlotte. J’enlève mon voile aux toilettes quand j’arrive à l’hôpital ; j’ai l’impression d’être nue. Et je ne comprends même pas pourquoi on a besoin de voir mes cheveux ! »

Cette jeune fille de Pontoise, qui rêve d’être anesthésiste-réanimatrice, s’interroge aussi sur la logique qui lui permet d’étudier voilée à la fac mais pas dexercer son métier. « Je comprends que le voile fasse peur et que certaines filles voilées un peu paranos, renfermées sur elles-mêmes, alimentent les clichés, mais moi le voile ne m’a pas du tout isolée. »

Myriam et K. viennent de monter un groupe sur Facebook pour « partager les expériences de stages et les endroits les plus propices à l’accueil de filles voilées ». Car à l’hôpital, seul le voile est potentiellement gênant. « Pour les prières, on s’arrange en dehors des heures de stage ou on va dans le lieu de prière ouvert à tous ; et pour la nourriture, on mange du poisson. »

 

 

Source : Le Monde.fr

 

 

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

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