Les miliciens anti-balaka sont très visibles dans Bangui, comme dans le quartier Boeing. Ils s’y confondent avec l’armée du président Bozizé renversé en mars dernier. Leur haine des « musulmans » est implacable.
Plus on s’enfonce dans le quartier Boeing, dans le sud-ouest de Bangui, plus l’atmosphère est lourde et la misère grande. Ce quartier de la capitale de la République centrafricaine (RCA) est aujourd’hui quadrillé par les anti-balaka et leurs alliés des Forces armées centrafricaines (Faca, l’armée restée fidèle au président renversé en mars, François Bozizé).
Des jeunes gens font le guet. Ils n’exhibent aucune arme. Certains ont le bonnet en laine des anti-balaka et, surtout, des téléphones portables. Ils observent les allées et venues et donnent la première alerte en cas de danger. La route est de moins en moins carrossable, l’habitat de plus en plus rudimentaire et la densité humaine plus faible. Le quartier se transforme en un village planté dans la forêt.
Armés de manière extravagante
Les regards des passants se font graves et pour certains menaçants. Désormais, la quasi-totalité des jeunes gens sont armés. De manière extravagante : gourdins et battes hérissés de clous, poignards à longue lame rouillée, arcs traditionnels aux flèches empoisonnées, mini-arbalètes, machettes avec une lame en dents de scies, houes…
Ces miliciens portent tous des gris-gris censés les protéger des balles, et presque tous des chapelets. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont « anti-balaka ». Ils entendent protéger les vies et les biens « chrétiens » contre ceux qui les menacent : « Les musulmans. Tous les musulmans. » Bien entendu, ceux de la Séléka.
Depuis qu’elle s’est lancée à la conquête du pouvoir, en décembre 2012, la Séléka pille, brûle et tue sur son passage : visant en premier lieu les chrétiens (environ 80 % de la population). À Bangui, elle a poursuivi ses exactions avec une totale impunité jusqu’à l’intervention française, le 5 décembre.
« Nous sommes centrafricains. Pas les musulmans. »
Dans cette coalition, on trouve des groupes habitués à ce genre de razzias meurtrières contre les civils, comme les djandjawids du Darfour (Soudan) et les Zagawa du Tchad (l’ethnie guerrière du président Idriss Déby).
Toutefois, pour ces jeunes anti-balaka, l’ennemi n’est pas seulement la Séléka mais l’ensemble de la communauté musulmane (environ 10 % de la population). À un check-point, l’un d’eux, Boris, explique : « Nous sommes centrafricains. Pas les musulmans. Ce sont des étrangers. Ils nous volent depuis toujours. Nous ne les voulons plus chez nous. Tous ceux que l’on croisera, on les tuera. » L’exécration des « musulmans » est partagée par tous ses camarades.
Leur chef est un sous-officier de l’armée de François Bozizé, les Faca. Vincent est de la classe 2006. Il porte une kalachnikov, un pantalon court kaki, un chapelet en plastique autour du cou et des espadrilles. « Nous nous préparons à prendre la ville, cette fois, nous ne perdrons pas, affirme-t-il. Les Séléka sont moins nombreux. Nous avons plusieurs camps dans la forêt. Nous sommes alliés aux anti-balaka pour cette reconquête. » À ce même check-point, il commande des anti-balaka qui ne portent, eux, que des armes blanches et, pour l’un d’eux, un vieux fusil de chasse à un coup.
Commerces, maisons et mosquées saccagés
Pour aller voir leur chef, il faut poursuivre à pied, s’enfoncer plus profondément dans la brousse. Les passants sont systématiquement fouillés. L’habitat désormais évoque un village pauvre avec de petites maisons en brique ou en bois. Il n’y a pas d’électricité, une eau stagnante où pullulent les moustiques borde le chemin cabossé. La place du marché est totalement ravagée.
Tous les commerces tenus par des musulmans ont été saccagés. Ils sont devenus le territoire des rats et des oiseaux. Leurs maisons, la mosquée n’ont pas échappé à la vindicte populaire. Elles sont éventrées et calcinées.
Après avoir traversé cette zone fantôme, on retrouve un peu de vie. Quelques familles sont éparpillées le long du chemin. Et toujours des check-points, de jeunes garçons armés de façon archaïque. La route devient un chemin, puis un sentier. Elle débouche sur l’école Yawara. Le cantonnement de ces hommes.
« il faut que Djotodia s’en aille, c’est tout. »
Ce jour-là, ils sont quelques centaines. Certains sont à l’entraînement. D’autres allongés entre les arbres, fumant et buvant du thé ou du café. Tout est misérable. On n’y voit aucune arme lourde, aucun blindé, des uniformes déchirés portés par une minorité. Leur chef, Alfred Rombhot, a le grade de caporal-chef dans les Faca. Il est de la classe 2003. Il reçoit sur une chaise de camping, entouré d’hommes qui jouent avec leurs armes rudimentaires à la main.
« On est des militaires, explique-t-il. Notre but est de renverser Michel Djotodia et de chasser les Séléka de RCA. On est partout. » Interrogé sur ce qu’il compte faire, le jour où la France viendra à Boeing les désarmer, il répond : « On leur donnera nos armes. Nous avons été formés par la France. On se connaît. On a confiance. Mais il faut que Djotodia s’en aille, c’est tout. »
À voir ce camp désolé, on doute de leur capacité à s’emparer du pouvoir par la force. En revanche, on peut craindre leur disposition à confondre Séléka et musulmans. Depuis le début du mois de décembre, Amnesty International estime, dans un rapport rendu public hier, que les violences interreligieuses ont fait près d’un millier de morts en RCA. Et la grande majorité des exactions ont été commises par la Séléka. Face à ces crimes, la détermination des hommes de l’école Yawara n’en est que plus grande.
Un renfort européen en RCA annoncé par la France
Les autorités françaises ont multiplié, ces derniers jours, les déclarations sur une intervention au sol de troupes européennes au côté des soldats français en RCA. Mardi, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius annonçait à l’Assemblée nationale : « Je crois pouvoir vous affirmer, compte tenu des démarches qui ont été faites par la France, que nous aurons bientôt des troupes au sol qui seront apportées par nos collègues européens. » Or, aucun pays européen, à l’exception de la Belgique, prête à participer à une sécurisation de l’aéroport, n’a pour le moment confirmé un tel déploiement.
La Croix