Dans cette ville où la Séléka a installé son état-major, la France veut rétablir l’ordre mais peine à rassurer la communauté musulmane.
« Vous êtes Français ? », crache le jeune homme, un gourdin clouté à la main, tandis qu’une centaine de ses camarades armés de machettes, poignards, arcs et flèches entourent le pick-up en hurlant : « Vous ne passerez pas ! », « À mort les Français, à mort Sangaris », « Sangaris, génocide »…
Des soldats jugés complices des antibalaka
Dans le véhicule assiégé, Ruben de Koning, Américain en mission pour l’ONU à Bambari (centre-est de la Centrafrique), répond calmement : « Non, nous ne sommes pas français mais américains et anglais. » « Nous sommes des journalistes américains et anglais », ajoute sans se démonter le Britannique Dann Flenn, de l’agence Reuters.
Peine perdue. Les émeutiers s’excitent. Certains frappent les vitres, d’autres le capot, tentent d’ouvrir les portes arrière. À l’évidence, ces jeunes musulmans du barrage du pont de l’Ouaka veulent tuer. Ils ne veulent pas des soldats de Sangaris, jugés complices des antibalaka. Ils sont drogués au tramadol, un cachet contre la douleur absorbé à haute dose avec de l’alcool de palme.
Les raisons de la haine ?
En face d’eux, à deux ou trois cents mètres, des soldats du groupement tactique interarmes (GTIA) Scorpion, le GTIA de Sangaris chargé de se déployer dans l’est de la Centrafrique depuis le 28 mars. Ils tiennent la rive gauche. Mais ils n’interviennent pas sur le barrage. Ils l’avaient fait savoir quelques minutes plus tôt aux passagers du véhicule, dans lequel il y a trois Français.
« S’ils sont américains, il faut qu’ils passent pour raconter ce que Sangaris nous fait ici », reprend l’un des émeutiers. « D’accord », dit un autre. L’avant du véhicule est libéré. Deux hommes font signe au chauffeur de rouler, appellent les plus agités au calme. La voiture peut enfin traverser le pont. Quelle est la raison de cette haine, ce jour-là, à Bambari ? Que reprochent-ils à Sangaris ?
Les craintes des musulmans de Bambari
Trois jours plus tôt, dans son fief de Bambari, le général Joseph Zoundeko, le nouveau chef de l’état-major de la Séléka, affirmait à La Croix : « Nous nous sommes installés à Bambari non pour préparer la partition du pays mais pour protéger la population des antibalaka. Nous voulons bien collaborer avec Sangaris mais nous constatons que plus les Français se déploient en RCA, moins il y a de musulmans. Il y a un lien de complicité entre Sangaris et les antibalaka. »
L’affirmation du général Zoundeko n’est pas isolée. Elle reflète les craintes des musulmans de Bambari. Qu’ils soient commerçants, responsables associatifs, religieux, déplacés de Bangui, jeunes ou vieux, riches ou pauvres… ils ont peur d’être à leur tour la cible des antibalaka, comme l’ont été leurs frères de Bangui, puis ceux de l’ouest.
D’autant que la menace s’approche d’eux. Il y a quelques jours, ils apprenaient que la ville de Grimari, où Sangaris s’est déployé fin avril (80 km à l’ouest de Bambari), était désormais quadrillée par les antibalaka. « Ils sont environ 300, reconnaît un officier du GTIA Scorpion, armés de fusils et de machettes en ville. »
Conséquence ? Les musulmans de Grimari prennent la fuite. La route entre les deux villes est devenue dangereuse pour eux. Les commerçants musulmans sont obligés de passer par des chauffeurs chrétiens pour éviter les attaques.
Ce que n’a pas fait Issa Adam, il y a deux jours. Parti chercher lui-même son fils réfugié au Tchad pour qu’il puisse passer son bac à Bambari, ils ont été attaqués à une quarantaine de kilomètres de Grimari. Quatre morts, dont son fils de 21 ans, Elias Adam. Une semaine plus tôt, c’est une mosquée du village d’Awatché, à 25 km de Bambari, qui était incendiée. Une première dans la région. Et puis, un chef peul et sa famille (musulmans), massacrés à proximité de ce village. Des exactions attribuées aux antibalaka.
Paniqués, les Peules d’Awatché ont quitté leur village pour se réfugier à Bambari, tandis que des éléments de la Séléka partaient en expédition punitive contre les chrétiens d’Awatché jugés complices des antibalaka. Maisons incendiées, chrétiens tués : la réaction a été particulièrement violente.
Pour fuir les représailles de la Séléka, les villageois ont trouvé refuge en brousse, quitte à ne plus manger pendant des jours, à dormir dans la forêt et s’exposer au paludisme. Alertée, la force Sangaris s’est bien déplacée à Awatché, mais bien trop tard. Pour l’heure, c’en est fini de la cohabitation entre les Peules et les chrétiens d’Awatché.
De même, à Bambari, le souvenir des exactions, des crimes et des vols commis par la Séléka à son arrivée, en décembre 2012, a laissé des traces profondes parmi leurs victimes chrétiennes qui crient vengeance. C’est sur un tel terreau que les antibalaka prospèrent. C’est pourquoi la Séléka apparaît à de nombreux musulmans comme un ultime recours avant disparition.
Recadrer les chefs de la Séléka
C’est dans ce contexte que deux jours plus tôt, les chefs de quartiers, les cadres administratifs, les présidents d’associations, les chefs religieux, chrétiens et musulmans, et les responsables de la Séléka étaient convoqués à l’amphithéâtre de l’École normale d’instituteurs (ENI) de Bambari pour entendre l’ambassadeur de France.
Charles Malinas s’est ainsi employé à recadrer les chefs de la Séléka, jugeant nul et non avenu leur état-major, réaffirmant l’unité du pays contre toute velléité de partition… passant sans doute un peu vite sur les peurs des musulmans. Résultat, son discours fut chaudement applaudi par les chrétiens présents dans la salle, mais froidement accueilli par les musulmans.
Dès le lendemain matin, la ville était coupée en deux, les armes étaient sorties et actives, des barrages s’élevaient dans la zone musulmane, tandis que les chrétiens se réfugiaient dans l’évêché ou s’enfuyaient dans la brousse pour éviter la colère des jeunes musulmans. Les soldats français se repliaient pour plusieurs jours sur la rive droite de l’Ouaka afin d’éviter l’affrontement direct.
Encouragées par Sangaris, les autorités catholiques et musulmanes essaient ensemble de rassurer les esprits. Si les Français ont repris pied sur la rive gauche, ils ne peuvent pas grand-chose contre le départ des familles musulmanes qui ne se sentent plus en sécurité à Bambari. Et ils ne voient pas que dans leur dos, parmi les jeunes chrétiens, malgré les appels au calme de l’évêque Édouard Mathos, des noyaux durs sont en train de se former en vue de la revanche, espérée pour bientôt.
La Croix