Alors que les musulmans du monde entier observaient la période sacrée du Ramadan durant le mois de juillet, la triste actualité au Proche-Orient est venue entacher la quiétude de son observance avec l’opération « Bordure protectrice » menée par Israël sur la bande de Gaza. Depuis le 8 juillet, le monde assiste une fois de plus à une énième guerre disproportionnée menée par Israël, laissant des centaines de victimes (plus de 1400 morts), civiles pour la plupart, parmi lesquelles une forte proportion de femmes et d’enfants .
En signe de solidarité avec la Palestine s’est tenue le 13 juillet dernier une première manifestation parisienne réunissant plusieurs milliers de personnes, laquelle s’est déroulée dans le calme malgré la provocation de quelques membres de la LDJ (Ligue de défense juive) en fin de cortège, place de la Bastille. Les médias dans leur grande majorité ne traiteront cet événement que sous l’angle du sensationnel en arguant notamment que la synagogue de la rue de la Roquette a été attaquée par des pro-Palestiniens, information démentie par le rabbin de ladite synagogue en personne, Serge Benhaïm, qu’aucun média mainstream n’a jugé utile de relayer, préférant opter pour la désinformation et la partialité, jetant par conséquent le discrédit sur la fonction journalistique quant à sa capacité à rendre compte des événements. La simplification réductrice et l’usage immodéré de présupposés dans la présentation des thèmes complexes (dictature de l’Audimat) imposent au public « une vision du monde », sans lui donner l’occasion de la remettre en cause. Car, en effet, leur discours télévisuel a simplifié, voire dramatisé l’événement, et dans ce contexte passionnel, cette course à l’Audimat, entachée par une « information » clairement orientée, a obligé ces médias à obéir à des besoins de mise en scène et de « théâtralisation » de l’information.
Suite à cette attaque fictive de la synagogue de la Roquette, le CRIF[1] entre en scène pour interdire les manifestations, suivi par le gouvernement de Manuel Valls, et dénoncer un antisémitisme inquiétant qui serait lié à l’expression de ce mouvement de solidarité nationale pour la Palestine, corrélant le contexte à une lutte sous-jacente entre musulmans et juifs, pointant comme principal – et fallacieux – argument, la confession musulmane de la grande majorité des manifestants. A croire que le militantisme religieux des musulmans, tout acceptable qu’il puisse être, serait susceptible d’éveiller au mieux des inquiétudes et au pire un rejet défensif dans l’opinion n’appelant comme réponse possible qu’une politique restrictive et sécuritaire. Dès lors, on assistera à un revirement spectaculaire et inédit, vu son caractère exceptionnel, de la décision prise par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve d’interdire la manifestation parisienne suivante qui devait avoir lieu le 19 juillet, alors que celles qui se tenaient sur le reste du territoire étaient maintenues.
Malgré son interdiction officielle, la manifestation réunira plusieurs milliers de personnes à Barbès dans une ambiance, rappelons-le, pacifique. Ce n’est qu’après l’intervention des CRS sommant la foule de se disperser et devant son refus d’obtempérer que des gaz lacrymogènes seront lancés sur les manifestants, faisant dégénérer la situation et offrant de belles images de chaos prêtes à alimenter les JT. Dans un tel contexte, le langage des médias conditionne les modalités de la transmission du message. Mais, au-delà des mots, les images ont leur propre langage avec un fort contenu connotatif capable d’orienter la compréhension des téléspectateurs. La manifestation interdite de Barbès sera ainsi présentée comme une guérilla urbaine, avec des éléments déchaînés voire des « hordes de sauvages ». Événements qui ont certes eu lieu mais qui, sortis de leur contexte, sont une double insulte : aux téléspectateurs qui sont trahis par une information tronquée et à l’immense majorité des manifestants qui étaient venus dignement exprimer leur soutien aux habitants de Gaza. Le message que l’on fait passer est clair : impossible pour ces populations de manifester sans causer de trouble à l’ordre public, prétexte idéal pour justifier des mesures passées, et surtout à venir, totalement abusives car sans nuance, et de jeter le discrédit sur les participants.
Dans les médias, les « casseurs » seront renvoyés à leur origine culturelle et religieuse avec à l’appui, un choix d’images et de mots prompts à susciter le rejet : intégrisme, jihadisme, archaïsme, antisémitisme, drapeaux du Hamas… Force est de constater que l’approche politique de l’islam en France est prisonnière d’une globalisation excessive qui confond les problèmes de l’intégration des immigrés, de l’insertion sociale des jeunes et de la question israélo-palestinienne. Le contexte directement lié au conflit israélo-palestinien inscrit d’emblée les manifestants de confession musulmane dans une dynamique conflictuelle voire guerrière avec les représentants des forces de l’ordre.
Ce que l’on retiendra de ces manifestations, c’est avant tout que l’immense majorité des participants, musulmans et non-musulmans, dans l’Hexagone a exprimé une solidarité avant tout citoyenne envers les Gazaouis, une population opprimée, sous embargo depuis trop longtemps, et maintenant écrasée par les bombardements incessants d’une armée israélienne surpuissante.
Cet événement dramatique, s’il a mobilisé les consciences, a aussi mis en exergue les revendications d’une vaste communauté musulmane qui ne peuvent plus être ignorées par des pouvoirs publics jusqu’ici préoccupés par une gestion sécuritaire de l’islam. Les manifestations parisiennes autorisées l’ont été à la seule condition d’être sous la tutelle d’autres organes politiques. Il y aurait là comme une incapacité à considérer l’immigré – ou du Français issu de l’immigration – comme sujet politique, porteur d’une parole revendicatrice. Focalisés sur les conflits politiques et idéologiques, les acteurs politiques sous-estiment la capacité des musulmans en France à élaborer de nouvelles stratégies identitaires en exerçant leur libre-arbitre tant vis-à-vis de leur culture d’origine que de la culture dominante en France. Une nouvelle génération de Français musulmans instruite, politisée et revendicatrice d’idées émerge et investit le champ social et politique, une génération avec laquelle il faudra désormais compter dans un souci de paix sociale en cessant, pour commencer, de l’aborder sous un rapport dominant/dominé.
Fatima Achouri