L’amour selon saint Augustin, débauché repenti

Saint Augustin est le fondateur de la doctrine chrétienne du péché originel. Mais que pensait-il de l’amour ? La question a été abordée par le jésuite Dominique Salin lors d’une conférence du festival Philosophia à Saint-Émilion le 17 mai dernier. Le jésuite nous apprend qu’avant de devenir l’un des Pères de l’Église les plus importants, Augustin a connu les plaisirs de la chair et l’amour d’une femme. Sa vision de l’amour découle d’un désir de repentance envers Dieu.

©  Saint Augustin dans son cabinet de travail , Sandro Botticelli.

« Un Don Juan repenti, foudroyé par la grâce à 33 ans. » C’est ainsi que Dominique Salin présente saint Augustin. L’inventeur de la doctrine chrétienne du péché originel, ce Père de l’Église ayant vécu entre 354 et 430 aurait créé le dogme de la sexualité « par culpabilité et ressentiment ».

On comprend cela par la lecture des Confessions, son autobiographie écrite entre 397 et 398. Il y fustige avec violence le pécheur qu’il a été. « Les censeurs de la sexualité sont en général de grands obsédés », plaisante Dominique Salin.
Ce n’est pas sans raison que la postérité a taillé à Augustin une réputation de débauché repenti. « Aucun autre personnage ne nous a renseigné aussi précisément sur sa sexualité. Dans sa jeunesse, c’était un fornicateur à tous crins », affirme le jésuite.

Un ado glandeur

« À 15 ans, Augustin reste une année à “glander” dans le village de Thagaste (dans l’Algérie actuelle), raconte Dominique Salin. Que fait un adolescent normal dans ce cas ? Il va à la messe le dimanche pour draguer les filles. Mais sa mère sainte Monique lui interdit les fornications. Il rencontre la femme de sa vie à 17 ans et emménage avec elle à Carthage, où il part faire ses études. Les amoureux ne sont mariés ni civilement ni religieusement. Mais n’étant pas baptisés, leur concubinage est très bien accepté à l’époque. »

Augustin est très attaché à sa compagne. Mais une opportunité professionnelle le pousse à rejoindre la péninsule italienne. Il devient le meilleur rhéteur de son temps et rédige les discours de l’Empereur. Cependant, Augustin n’a pas de fortune. Sa mère l’ayant rejoint en Italie, elle lui arrange une union avec une riche héritière. Il doit pour cela renvoyer sa concubine avec laquelle il vit depuis 15 ans. Problème : sa nouvelle fiancée n’a que 12 ans. L’âge légal pour le mariage est de 14 ans.

Une maîtresse en attendant

Que faire ? Ne pouvant rester seul, il prend une nouvelle maîtresse.
« Blessure, douleur, désespoir, maladie de l’âme, esclavage de la passion. » Augustin avoue une honte intérieure : « Je ne peux pas me passer d’une femme dans mon lit et ça me fait honte. »

Âgé de 33 ans, il décide alors de se faire « eunuque pour Dieu » et se convertit au christianisme. Augustin retourne en Afrique et devient évêque d’Hippone. C’est là qu’il va exposer sa doctrine de l’amour.

Pour saint Augustin, aimer c’est désirer (du latin appetere). « C’est le désir de quelque chose ou de quelqu’un que je n’ai pas. L’amour étend le désir et le désir étend l’amour. L’homme est marqué par le manque : il désire un bon souverain, cherche la vie heureuse, la béatitude. »
Le mot bonheur serait ici trop faible car « l’homme cherche le vrai bonheur, la joie. C’est le désir absolu ». Selon saint Augustin, « l’amour de Dieu est le moteur de l’homme. Problème : l’homme ne le sait pas. Il s’attache aux premiers objets qui lui tombent sous la main : une femme, de l’argent, la musique, la souffrance ».

« L’homme est un héliotrope, un tournesol. Il ne vit que pour être en permanence orienté vers le soleil. Mais sous le soleil, les créatures sont éphémères. L’amour propre, l’amour de moi est à l’origine du péché originel. »
« L’amour à soi avant l’amour de Dieu. C’est l’anthropologie de l’homme selon saint Augustin », constate Dominique Salin.

Un caractère immaîtrisable

Dans La Cité de Dieu, saint Augustin évoque les thèmes de la Cité céleste et de la Cité terrestre. « Saint Augustin y oppose deux formes d’amour, commente Dominique Salin. L’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi. Ces deux formes sont au cœur de chaque individu. L’amour qui donne la primauté à Dieu aime les créatures en référence à Dieu. L’autre amour qui s’aime soi-même aime aussi les créatures, mais seulement pour les avantages qu’il en tire. »

Pour l’évêque d’Hippone, cet amour de soi est la source d’un monde marqué par la violence, la souffrance, le « péché ». L’homme commet le mal qu’il ne voudrait pas commettre. Le péché est un mystère. Seul le Christ peut guider l’homme vers la lumière et la sortie. « Augustin avait un caractère immaîtrisable. La procréation lui paraissait un désordre. Pour lui, c’est le symptôme et la conséquence du péché originel », affirme le jésuite. Un pessimisme aggravé par Luther et les jansénistes, qui affirment que « le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures ».

« Heureusement, il est possible d’être chrétien sans être janséniste », rappelle Dominique Salin. Comme le message de l’Évangile, celui de saint Augustin est « aime et fais ce que tu veux. L’amour se juge à ses fruits, dans les actes plus que dans les mots. C’est l’amour qui doit être la règle de notre agir. »

 

Le Monde des Religions

 

F. Achouri

Sociologue.

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