Depuis des décennies, les Frères musulmans tentent de séduire les partis politiques. Aujourd’hui, ils font offre de service pour lutter contre la radicalisation. L’histoire du pompier pyromane
Dans le courant des années 1990, les Frères ont été priés, en interne, de se raser la barbe pour ne pas être pris pour des « barbus ». Ils cultivent à merveille l’art de se couler dans le paysage, de s’adapter au « contexte ». Le mot « contexte » est d’ailleurs un de leurs éléments de langage, avec « islamophobie », « citoyenneté » et maintenant « co-inclusion ». Une référence à l’auteur de ce néologisme, le sociologue Felice Dassetto (UCL), auteur de L’Iris et le Croissant (Presses universitaires de Louvain, 2011) ?
Quand on est Frère (un peu ou beaucoup), mieux vaut ne pas s’exprimer trop clairement sur les questions qui fâchent ( la violence en politique, l’égalité entre musulmans et non-musulmans, la liberté d’apostasier, le statut de la femme…) et renvoyer au « contexte ». Car, à l’état brut, le programme Frère a de quoi faire frémir. La confrérie égyptienne a été, en effet, la matrice de l’islam politique qui, dans sa version djihadiste, a mis le feu aux quatre coins de la planète. Dans son logo, les deux sabres croisés sous le Coran sont accompagnés du début de la sourate 8, verset 60 (le Butin): « Tenez prêt contre eux (les incroyants) ce que vous pouvez de forces et de chevaux pour effrayer l’ennemi de Dieu et votre ennemi et d’autres que vous ne connaissez pas mais que Dieu connaît. Ce que vous dépensez dans le sentier de Dieu vous sera rendu et vous ne serez pas lésés. » En arabe, le mot « effrayer » a la même racine que le mot « terroriste ». Quand ils veulent, les FM ne sont pas des tendres.
Apparus dans les années 1980 comme étudiants ou réfugiés politiques fuyant les pays où ils voulaient s’imposer, les Frères musulmans ont bâti, en Belgique, une infrastructure permanente et suscité la création de moult associations. Ils ont surtout exercé un lobbying permanent auprès des pouvoirs publics pour devenir les porte-parole officiels de la communauté musulmane. Un rapport du comité de contrôle des services de renseignement (comité R) le notait déjà en 2001, puis en 2007, relevant un autre aspect de leur stratégie : « Susciter ou entretenir les tensions dès qu’ils considèrent qu’un musulman ou une association islamique est victime des valeurs occidentales. Ainsi de la question du port du voile islamique dans les écoles publiques… »
Historiquement, et pour des raisons différentes, certains démocrate-chrétiens et certains laïques ont succombé aux sirènes FM, enchantés par leur discours si policé et si engagé. Et c’est le parti Ecolo qui, en ce moment, paraît le plus sensible à l’idéologie diffuse de la confrérie en Europe. La fascination « frériste » pour le monde politique a cependant des limites. Les partis politiques utilisent le ressort communautaire pour capter les voix des électeurs, mais ils ne renvoient pas toujours l’ascenseur. Selon les musulmans conscientisés de la nouvelle génération, les plus belles opportunités, aujourd’hui, ne se trouvent pas dans l’associatif ou la politique mais bien dans l’économie. Une activité qui procure des revenus pouvant ensuite être réinvestis dans le secteur religieux au sens large. Rien ne se perd.
Le Vif.be