Vers un essor de l’entrepreneuriat musulman

Les difficultés rencontrées par de nombreux musulmans pour accéder au marché du travail poussent de plus en plus d’entre eux à développer des activités indépendantes. D’autant que cet entrepreneuriat musulman est favorisé sur le plan juridique français par la notion d’entreprise de tendance. En effet, dans le cadre de cette dernière, il est possible pour ces entrepreneurs d’employer des salariés clairement identifiés comme musulmans, leur offrant des perspectives d’avenir, sans pour autant que cela soit considéré comme discriminatoire à l’égard de salariés d’autres confessions. Les arguments ne manquent pas pour ces nouveaux entrepreneurs dans cette dynamique de développer une religiosité entrepreneuriale, comme certains l‘ont exprimé « On ne veut pas être des assistés », « On en a marre de la galère malgré nos compétences », « On n’est plus subordonné à quelqu’un qui nous empêche de faire la prière ou de porter le voile », « On se sent utile pour la communauté », etc. Le savoir managérial s’impose ainsi comme la meilleure alternative pour instaurer une religiosité non fataliste.

 

La pénétration accentuée des produits et services religieux sur le marché français, en particulier ces dix dernières années (restauration, agences de voyages, sociétés de services, médias, édition, prêt-à-porter, garde d’enfants, etc.), est prégnante avec, bien souvent à la tête de ces entreprises des managers qui adoptent une norme islamique sur le plan vestimentaire. Entreprendre devient un engagement positif de l’individu dans la société qui passe par le travail et les affaires, des notions qui sont valorisées en islam. Il s’agit de « penser l’islam comme un produit à destination des consommateurs » ainsi que le déclarait un intellectuel réformiste à un parterre de cheikhs d’al-Azhar plutôt étonnés, lequel ajoutait « Il ne faut pas en vanter les mérites absolus dans une perspective théologique, mais le vendre à partir de son efficacité sociale ». Il ne s’agit plus de réformer les âmes mais de s’adapter à leurs demandes, offrir un produit islamique[1]. Ces entrepreneurs musulmans proposent des biens et services à un public musulman en premier lieu mais aussi non-musulman : le marché devient le canal d’expression de la nouvelle religiosité. La conviction religieuse personnelle se traduit donc dans une pratique entrepreneuriale où la maximisation des profits n’est limitée que par la rigueur éthique : celle du halal, c’est-à-dire du licite.

L’exemple du foulard islamique est à ce titre intéressant. Il s’est développé dans un contexte de consommation de masse avec ses normes et ses valeurs tout en s’inscrivant dans la modernité marchande occidentale. Car, tout signe religieux qu’il soit, il s’inscrit dans son temps et s’adapte aux modes du moment pour satisfaire une clientèle désireuse d’évoluer dans son époque avec son identité personnelle, tout en empruntant à la mode ses couleurs de saison lancées par les couturiers parisiens ou italiens. Les grands acteurs de la distribution, comme Auchan et Carrefour notamment, ne n’y sont pas trompés non plus en proposant, eux aussi, une gamme de produits halal de plus en plus étendue dans leurs rayons.

L’islam de marché devient ainsi une stratégie de désenclavement qui passe par la relocalisation du religieux dans la sphère marchande globale non religieuse. L’offre islamique est conçue en terme de produits du quotidien (bonbons, sodas, charcuterie, plats préparés, livres, vêtements, etc.) sur un vaste marché et répond aux attentes d’un public perdu dans les effluves d’une société de consommation. Cette offre religieuse est donc repensée en terme de produits banalisés sur un marché ouvert où le facteur idéologique est parfois sacrifié sur l’autel du profit. Le seul canal disponible pour exprimer les revendications des déçus du discours islamique, c’est le marché[2]. Là où les représentants musulmans de l’islam de France, préoccupés par leurs luttes intestines, ont échoué à représenter et fédérer une communauté de croyants qui n’existe pas, le marché, lui, a réussi. La question n’est plus de convaincre les masses d’une vérité ultime mais d’ajuster une offre religieuse aux attentes réelles ou potentielles d’un public donné. Car, au final, le vrai vivre ensemble ne passerait-il par l’ancrage des musulmans de France dans l’économie ?

 

Fatima Achouri

 

 

 

 



[1] « L’islam de marché » de Patrick Haenni- Ed. Seuil

[2] Ibid.

 

F. Achouri

Sociologue.

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