Herblock, l’un des plus célèbres dessinateurs de presse américain, a « fait 274 caricatures du Watergate » sans un seul procès mais « se moquer de la religion comme le fait Charlie Hebdo est tabou » aux États-Unis, affirme l’organisatrice d’une exposition à la Bibliothèque du Congrès de Washington.
Aux États-Unis, « on peut utiliser l’image religieuse, on peut utiliser Jésus, mais on ne peut pas se moquer de Jésus », a indiqué Sara Duck, commissaire d’une nouvelle exposition qui explore à Washington des décennies de caricatures aux États-Unis à travers l’œuvre d’un de ses principaux représentants.
Le caricaturiste, mort à 91 ans en 2001 et pilier du Washington Post, a passé à la moulinette de son crayon le scandale du Watergate qui a mis à bas le président Richard Nixon, la crise des missiles cubains, le président Lyndon Johnson et la guerre du Vietnam.
« Mccarthysme »
« C’est lui qui a inventé le terme de mccarthysme », a ajouté l’organisatrice de Pointing Their Pens (Dans la cible de leurs crayons), visible jusqu’à mars 2016, en évoquant la période de chasse aux sorcières lancée dans les années 1950 par le sénateur McCarthy.
Les dessinateurs aujourd’hui continuent à se moquer de la politique et des politiciens, a ajouté Mme Duke en citant l’exemple de l’ex-secrétaire d’État Hillary Clinton, récemment empêtrée dans une controverse sur ses courriels privés et publics et cible même des plus progressistes.
Diffamation
Les « plaintes en diffamation ne sont pas aussi répandues qu’en Europe », a-t-elle poursuivi, au nom du premier Amendement de la Constitution qui sanctuarise la liberté d’expression.
« Les caricaturistes sont davantage libres d’attaquer un homme politique », a-t-elle relevé. Herblock « a pu faire 274 dessins sur le Watergate et Nixon parce qu’il avait la loi pour lui », a-t-elle dit.
Des tabous
Mais « se moquer de la religion est tabou », a souligné l’historienne. « Très peu de caricaturistes américains se sont attaqués à Mahomet », a-t-elle relevé, en référence aux dessins du journal français Charlie Hebdo qui ont conduit au massacre de ses dessinateurs à Paris en janvier.
« Il y en a une qui l’a fait, elle a changé de nom et vit désormais cachée », a raconté Mme Duke au sujet de Molly Norris, caricaturiste de Seattle (ouest) qui avait lancé en 2010 un « Jour où tout le monde dessine Mahomet » qui lui a valu de devenir une cible.
Prix Pulitzer
Mme Duke s’est souvenue d’un dessin de Pat Oliphant publié à un moment où le chanteur Michael Jackson était accusé de pédophilie, en même temps que l’église catholique américaine. On y voit le chanteur devant une église d’où sortent des enfants de chœur et des prêtres qui disent: « On dirait que M. Jackson veut prendre la prêtrise ».
« Certains caricaturistes parleront de religion mais ils ne diront pas +la religion c’est mal+. Ils évoqueront un problème dans lequel une église est partie prenante », a-t-elle avancé.
L’exposition « Pointing their Pens », qui exploite le fonds Block que détient la prestigieuse bibliothèque, évoque une carrière commencée en prônant l’intervention américaine en Europe contre l’Allemagne nazie.
Jusqu’à une caricature de l’artiste trois fois prix Pulitzer, d’un Nixon qui s’arc-boute sur le couvercle d’une cocotte-minute débordant de scandales, et dit « Il faut mettre le couvercle jusqu’à l’élection ».
« Saloperies de dessins »
Les caricatures « ont mis à bas des rois, des gouvernements locaux, ont fait grincer des dents des présidents », a constaté Mme Duke.
William Tweed, un homme politique corrompu de New York au XIXe siècle, avait qualifié de « Ces saloperies de dessins » les charges au crayon de Thomas Nast, considéré comme le père de la caricature américaine.
« Ils ont du pouvoir, ils jouent un rôle important en forgeant l’opinion, mais ne font pas tout tout seuls », a tempéré Mme Duke.
AFP