Y a-t-il jamais eu revendication plus guerrière que celle du droit au blasphème ? C’est pourtant la sommation brandie en étendard par le camp retranché de l’extrémisme athée au nom de la liberté d’expression et de la laïcité menacées.
Dans un entretien à la revue Ballast, le politologue Philippe Marlière revient sur les égarements des grands prêtres de ce qu’il appelle la « laïcité communautarienne », de droite comme hélas de gauche, qui n’est pas sans rappeler la quête d’une « unité nationale » perdue lancée en son temps par Nicolas Sarkozy.
La laïcité « communautarienne », explique Philippe Marlière, entend régenter la vie et les comportements privés des citoyens au nom de critères prétendûment relatifs à une culture républicaine française laïque. Cette attitude autoritaire va à l’encontre de la « laïcité de non-domination » qui prévalait dans la fameuse loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.
« Le législateur en 1905 cherchait à dégager l’État de l’emprise du catholicisme, mais il n’avait pas l’intention de régenter la vie des citoyens. Plus d’un siècle plus tard, nous sommes parvenus à un stade intellectuellement régressif et attentatoire aux libertés. »
De la laïcité communautarienne au prosélytisme athée
De l’interdiction du voile à la stigmatisation des jupes longues, en passant par l’exigence formelle d’être Charlie, la société française passe de fait d’une laïcité communautarienne déjà assez insupportable à un prosélytisme athée qui donne largement raison à un Emmanuel Todd parlant de crise religieuse.
Qu’est-ce que le droit au blasphème, revendiqué haut et fort par les extrémistes de la religion athée, sinon le droit assez infantile d’insulter quiconque au nom de ses croyances, une justification a contrario, par conséquence, de tous les anathèmes religieux et de toutes les fatwas ? Dans quel pays de guerre civile vivrons-nous si le droit est accordé à chacun d’afficher que son voisin de palier est un « gros con » ?
Philippe Marlière :
« Autant la résistance à un pouvoir clérical oppressif est nécessaire, autant les moqueries et insultes à l’encontre de croyants dans une société démocratique me semblent être de l’ordre du défoulement gratuit. »
Un réflexe de peur
Je ne suis cependant pas persuadé, comme Philippe Marlière, que le défoulement blasphématoire relève d’« un sentiment de supériorité et de mépris à l’égard des croyants ».
J’y verrais plutôt un réflexe de peur chez ceux qui, quoi qu’ils en prétendent, ont parfaitement conscience de la dégradation accélérée de leur propre système de valeurs. Une réaction de défense dépressive, plutôt que l’expression d’une quelconque condescendance occidentale à l’égard d’un orient « islamisé, barbare et rétrograde ».
Le rejet compulsif de l’affichage de tout signe distinctif religieux me paraît à cet égard très significatif de ce triomphe de la trouille. Une société laïque saine et sure de son fait aurait-elle quelque raison de s’émouvoir à la vue d’une kippa, d’un voile ou d’une croix, dès lors que le port de ces emblèmes ne s’impose pas à tous ?
Ce qui caractérise une société réellement laïque et saine, c’est l’acceptation apaisée des différences, fussent-elles religieuses. L’exacerbation de « l’esprit du 11 janvier » et ses dérives hystériques de « citadelle assiégée » (par le terrorisme, par les djihadistes de banlieue, par les vagues de migrants, par Poutine…) montrent qu’on est bien loin, par les sales temps qui courent, de la sérénité d’esprit et d’une démonstration de puissance.
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