Etat d’urgence : à Orly, des agents licenciés pour une barbe trop longue

La direction de Securitas a décidé de passer les barbes de ses salariés à la toise. Bachir B. a appris à ses dépens que la sienne était trop longue. L’agent de sécurité, qui travaille à l’aéroport d’Orly-Ouest depuis 2007, a été licencié pour faute grave le 8 décembre. On lui reproche des absences et retards « injustifiés », des bavardages « intempestifs » mais surtout le « non-respect du référentiel vestimentaire ». En clair, le port d’une barbe non « rasée de près ». Le même motif a été évoqué contre son collègue Ali (le prénom a été modifié), licencié le 14 décembre. Des faits non directement liés à l’établissement de l’état d’urgence mais justifié comme tels par la direction de l’entreprise.

Quand il se présente à son poste de travail à 5 h 30 du matin ce 24 novembre, Bachir est intercepté par sa supérieure hiérarchique qui lui signifie qu’il ne peut prendre son poste, au motif que sa barbe n’a pas été taillée, contrairement à ce qui lui avait été demandé quatre jours plus tôt. Le 20 novembre, Bachir avait déjà été convoqué par son directeur d’agence qui lui avait expliqué qu’au regard des règles de l’entreprise, sa barbe était trop longue et qu’il fallait la raccourcir. « Il m’a dit, “votre barbe, vous devez la couper”. Il m’a même proposé de m’acheter une tondeuse pour mon anniversaire. Il m’a ensuite menacé de changer mon planning de travail si je ne le faisais pas », explique le jeune homme.

L’entreprise a édité un règlement vestimentaire, appelé « référentiel » et signé par les agents, qui prévoit que « le visage doit être rasé de près ; les boucs, les moustaches, les barbes sont courts, taillés, soignés et entretenus ». C’est cette règle qui est rappelée dans un courrier recommandé envoyé au salarié quatre jours plus tard.

« Ma barbe ressemble à celle des hipsters »

Dans le courrier motivant le licenciement, la direction évoque également des retards et absences – tous concentrés en octobre et novembre –, des bavardages avec ses collègues, ainsi que le refus de faire des palpations de sécurité. Les agents de Securitas alternent aux postes d’accueil, de surveillance sur écran, des fouilles et des palpations des passagers. Cette pratique demande une flexion répétée des genoux tout en palpant le corps des voyageurs. Le salarié conteste les retards, les bavardages. Les accusations ne sont appuyées sur aucun justificatif, en dehors des rapports hiérarchiques.

Enfin, il dispose, à la suite d’un accident de travail lié aux palpations répétées, d’une dispense médicale, certificat à l’appui. « Ma barbe ressemble à celle des hipsters. Quant aux autres reproches, je n’ai jamais eu d’avertissement mais il fallait bien qu’ils mettent quelque chose pour justifier un licenciement pour faute lourde », assure l’agent.

Sur la plateforme de l’aéroport d’Orly-Ouest, parmi ses collègues, c’est la sidération. Six autres salariés barbus ont été convoqués pour le même motif. Certains ont préféré obtempérer à la demande de leur chef et se sont rasé la barbe. « Ces collègues ont été convoqués après les attentats. Cela fait des années qu’on travaille avec eux et il n’y a jamais eu de problème. Leur barbe n’est pas exubérante, et ils la portent de cette façon depuis leur embauche », assure la déléguée CGT. A Force ouvrière, on est sur la même longueur d’ondes : « La barbe de Bachir doit faire deux ou trois centimètres et il nous faisait la bise. Pourquoi, juste après les attentats, fait-elle soudain problème ? », renchérit la déléguée du personnel. Une interrogation que partage l’avocat de Bachir : « la direction de l’entreprise profite de l’état d’urgence pour se débarrasser de certains agents. Mais le code du travail existe toujours », s’agace Me Eric Moutet.

« Faire face au risque de radicalisation »

Securitas se défend en évoquant des mesures « prises pour faire face au risque de radicalisation » au sein de l’entreprise. Son président, Michel Mathieu, dénonce des « amalgames » organisés par les salariés et leur avocat. « Ces agents ont été licenciés pour des faits classiques, des manquements graves aux règles », se justifie le patron. Avant d’ajouter : « Dans nos métiers, face au public, la tenue est importante. On rappelle les règles de la même manière pour le port de la cravate ou du costume. Nous avons 16 000 salariés et nous travaillons avec toutes les couleurs, toutes les religions et toutes les cultures de la planète. »

Bachir a porté plainte pour « discrimination en raison de la religion » et saisi les prud’hommes. La secrétaire du comité d’entreprise, présente lors des faits, a rédigé une attestation dans laquelle elle se dit prête à témoigner devant la justice.

 

Le Monde.fr

F. Achouri

Sociologue.

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