L’Église orthodoxe russe projette d’ériger sa propre paroisse à Monaco

Un projet de nouvelle paroisse russe ravive, à Monaco, la vieille compétition entre les Églises orthodoxes russe et grecque.

Pour des raisons historiques liées à l’immigration, la France est le terrain privilégié d’une lutte d’influence entre les patriarcats de Moscou et de Constantinople.

Cela ressemble, à l’échelle du petit rocher de Monaco, à une répétition de ce qui se joue dans la sphère orthodoxe en France et à l’international. Alors que dans la cité monégasque, l’Église catholique met depuis des décennies un lieu de culte à la disposition de l’ensemble des communautés orthodoxes (russe, grecque, roumaine, bulgare, levantine…), l’Église orthodoxe russe du Patriarcat de Moscou a l’intention d’ériger sur place sa propre paroisse.

Annoncé en avril dans la presse locale, le projet est porté par un orthodoxe russe d’ascendance américano-hongroise, Alexander Hagerty qui, au vu des « quelques milliers d’orthodoxes qui doivent aller à Nice ou à Menton pour les célébrations religieuses », a décidé de lancer ce projet. « Il y a une vraie demande pour avoir des offices plusieurs fois par semaine », soutient l’homme d’affaires qui réside entre Monaco et Moscou.

Couvée depuis Paris par Mgr Nestor Sirotenko, évêque de Chersonèse, en charge des communautés du Patriarcat de Moscou en France, la future paroisse sera consacrée aux « Saints Martyrs » de la famille impériale russe, dont le culte connaît un important essor en Russie, cent ans après le massacre de la famille Romanov à Ekaterinbourg.

Levée de fonds au cours d’un gala

Le 15 juin, un gala doit avoir lieu dans un hôtel de luxe à Monaco, où 300 convives russes ont été invités par Pierre de Fermor, président des Amis de la cathédrale russe de Nice. Le but : récolter des fonds pour « soutenir » la nouvelle paroisse, avec à la clé un éventuel projet de construction d’église. En attendant, les Russes orthodoxes de Monaco ont élu domicile dans un bâtiment prêté par l’Église réformée où officie un prêtre russe venu tout exprès de Londres, le père Vadim. Selon Mgr Nestor, près de 150 fidèles russes y auraient célébré Pâques en avril.

De leur côté, les orthodoxes grecs du Patriarcat de Constantinople voient d’un mauvais œil cette initiative. « S’il y avait vraiment des milliers de Russes orthodoxes à Monaco, il y aurait plus de monde à la messe, observe Mgr Emmanuel, président de l’assemblée des évêques orthodoxes de France. On sait bien qu’il y a, derrière cette démarche, une volonté russe d’avoir des lieux de culte visibles dans les endroits les plus prestigieux. Il s’agit d’une logique purement nationaliste qui divise les orthodoxes, alors que nous avons la chance d’avoir à notre disposition un lieu de culte commun prêté par l’Église catholique. »

La récupération de la cathédrale orthodoxe de Nice par le Patriarcat de Moscou, à l’issue d’un long bras de fer devant les tribunaux français, est emblématique de la compétition à laquelle se livrent, en France, les deux sièges patriarcaux. Tout comme, à Paris, la récente construction d’une cathédrale et d’un centre culturel payés rubis sur l’ongle par l’État russe – 150 millions d’euros – au pied de la Tour Eiffel… et à quelques centaines de mètres de la cathédrale orthodoxe de la rue Daru, rattachée au Patriarcat œcuménique de Constantinople.

« Une situation de quasi-monopole russe »

Terre d’asile pour de nombreux « Russes blancs » après la révolution bolchevique, l’Hexagone compte aussi de nombreuses communautés russophones d’immigration récentes. Depuis la fin du communisme, Moscou cherche à reprendre la main sur ces communautés, tout en disputant à Constantinople son leadership symbolique sur l’orthodoxie. Dans cette compétition, Nice, la côte d’Azur et le rocher monégasque représentent une concentration de richesse et d’influence hors pair.

« On retrouve le problème bien connu depuis le XIXe siècle de la disproportion des moyens entre Moscou et les autres Églises orthodoxes, souligne un connaisseur de l’orthodoxie en France. Quelle que soit la nature de leurs intentions, les Russes créent, de fait, une situation de quasi-monopole : quand leur lieu de culte sera édifié à Monaco, il aura tendance à attirer à lui l’ensemble des orthodoxes. Il n’est pas surprenant que les Grecs le prennent mal. »

 

La Croix

F. Achouri

Sociologue.

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