Maghreb : l’ombre des Saoud

MBS s’approche. Et la société civile n’est pas contente. Le SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) a déroulé une affiche qui couvre toute une façade à Tunis. On y voit le prince héritier armé d’une tronçonneuse. Et la mention : « Ne viens pas profaner la terre tunisienne de la révolution. » Conséquence : l’homme attendu le 27 novembre à Tunis a écourté sa visite, celle-ci ne durera que quelques heures. Il s’entretiendra avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Dans la foulée, il visitera l’Algérie, la Mauritanie, l’Égypte. Le Maroc sera pour sa part ignoré. Depuis l’exécution de Jamal Khashoggi dans le consulat d’Istanbul, le prince héritier vit des heures troublées. Son image et celle du royaume ont été considérablement ternies. Son père a été contraint d’effectuer une tournée à l’intérieur de l’Arabie saoudite afin de calmer de puissantes familles. Affaibli en interne, le fils promis au trône doit convaincre ses partenaires internationaux.

Une tournée pour compter ses soutiens

Il ne viendra pas pour expliquer le crime commis en Turquie. Ce n’est pas le sujet. Les gouvernements de la région n’ont d’ailleurs guère fait de zèle sur le cas Khashoggi. Mots d’ordre : pas d’ingérence. Dans un monde arabe où la notion de droits de l’homme, à l’exception de la jeune Tunisie démocratique, est considérée comme un concept occidental, on n’a pas fait de scandale. Mais la brutalité saoudienne inquiète certains dirigeants. Les inquiétudes datent de juin 2017.

Les guerres de MBS

Lors de l’opération lancée contre le Qatar, une tentative d’étranglement économique via le blocage de sa frontière avec le royaume, MBS a envoyé émissaires, janissaires et ministres dans toute l’Afrique afin de demander aux États qu’ils rompent leurs relations diplomatiques avec Doha. Hormis l’Égypte, membre du quatuor qui a lancé l’opération anti-qataris, aucun pays d’Afrique du Nord n’a cédé aux injonctions saoudiennes. Le tandem Émirats arabes unis-Arabie saoudite n’a pas ménagé ses efforts pour tordre le bras à ses alliés. Ce qui, en coulisses, a provoqué stupeur et effroi dans certaines capitales. « Verbalement, nous restons dans l’axe », confie un député tunisien, « mais dans les faits nous gardons notre neutralité ». Le traitement réservé au Premier ministre libanais, Saïd Hariri, par ailleurs citoyen saoudien, n’a pas amélioré les craintes que suscite la politique menée par Riyad. Le dirigeant avait été séquestré en Arabie saoudite, contraint d’annoncer sa démission dans une déclaration télévisée faite sous la contrainte. Quelques mois plus tard, une photo circulait : on y voyait Mohamed VI, MBS et Hariri côte à côte dans un endroit nocturne parisien. En apparence réconciliés. Désormais affaibli par le meurtre commis dans le consulat saoudien d’Istanbul, MBS est contraint de faire le tour des capitales arabes.

La société civile vent debout contre MBS

C’est en Tunisie que la fronde est la plus visible. Sur les réseaux sociaux maghrébins, les messages hostiles à cette tournée sont nombreux. Les pays du Golfe n’ont jamais, euphémisme, apprécié le Printemps arabe intervenu à l’hiver 2010/2011. Les Saoudiens y ont vu la main des Frères musulmans, complot qui aurait été amplifié par la chaîne d’information qatarie Al Jazzera. La théorie a fait le bonheur des complotistes. Ceux-ci oubliant la raison de ces révolutions : une situation économico-sociale insupportable. Le pays qui a essaimé dans une bonne partie de l’Afrique des prédicateurs wahhabites, avec les résultats que l’on connaît, mène une guerre sourde contre tout ce qui de près ou de loin s’apparente aux « Frères ». Notamment le parti islamiste tunisien, Ennahda, qui cogère le pays depuis les élections de 2014. Parti qui fait pour l’instant figure de favori à la veille d’une année électorale cruciale. La visite du prince héritier se fera à l’abri des palais officiels. Aucun point presse n’a pour l’heure été prévu. On attendra les chuchotis des insères pour connaître les messages de MBS. Et les promesses. La diplomatie du chéquier…

 

Le Point Afrique

F. Achouri

Sociologue.

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