Répondant au Comité des droits de l’homme de l’ONU, les sénateurs ont adopté à l’unanimité une résolution de Bruno Retailleau « visant à préserver l’ordonnancement juridique relatif au port du voile intégral dans l’espace public ».
Au cours de sa séance publique du mardi 11 décembre, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de résolution « visant à préserver l’ordonnancement juridique relatif au port du voile intégral dans l’espace public », présentée par Bruno Retailleau (LR, Vendée).
Celle-ci rappelle que la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat et que ce « très large consensus qui unit la société française sur cette question (…) a parfaitement symbolisé son opposition à cette pratique qui la heurte profondément ».
Les sénateurs souhaitent donc « faire primer la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme sur les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies ». Et ils invitent « le gouvernement à ne pas donner suite à ces constations afin, a minima, de préserver l’ordonnancement juridique national relatif au port du voile intégral islamique dans l’espace public ».
Manifester librement leur religion
Par cette résolution, le Sénat français répond en quelque sorte au Comité des droits de l’homme de l’ONU qui, le 22 octobre, a estimé que la loi de 2010 portait atteinte au droit de deux femmes verbalisées en France en raison de leur voile intégral « de manifester librement leur religion et qu’elle constitue dès lors une discrimination à caractère religieux ».
« Le Sénat a adopté ce texte par 236 voix pour et 0 voix contre », précise le communiqué.
Composé de 18 experts indépendants, et rattaché au Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU, le Comité des droits de l’homme est chargé de surveiller la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États parties.
Dans ses délibérations, à propos des plaintes déposées en 2016 par ces deux femmes portant le niqab, ses membres avaient majoritairement estimé que les « deux buts qui seraient poursuivis par la loi, à savoir la protection de l’ordre et de la sécurité publics et la protection des droits et libertés d’autrui » ne justifiaient pas une telle interdiction.
Deux opinions dissidentes
Deux de ses membres ont toutefois exprimé une opinion dissidente, dont le juriste tunisien Yadh Ben Achour et le constitutionnaliste portugais José Manuel Santos Pais.
Pour Yadh Ben Achour, la menace pour la sécurité publique « semble aller de soi compte tenu de la bataille en cours contre des terroristes, dont certains ont perpétré des attaques et des assassinats en France et ailleurs déguisés avec du niqab ». Surtout, « le niqab est en soi un symbole de la stigmatisation et de la dégradation des femmes et, en tant que tel, contraire à l’ordre républicain et à l’égalité des sexes dans l’État partie, mais aussi aux articles 3 et 26 du Pacte », écrit-il dans un avis dissident publié en annexe des constatations.
Yadh Ben Achour s’étonne aussi que le Comité admette le statut de « rite ou de pratique » religieuse à propos de ce qui n’est, selon lui, qu’une « coutume suivie dans certains pays, appelée’pays musulmans’, qui, sous l’influence de l’islamisme politique et d’un puritanisme croissant, a été artificiellement liée à certains versets du Coran ».
Polygamie, excision ou inégalité successorale
« Même en admettant, comme le souhaite le Comité, que le port du niqab puisse être interprété comme une expression de la liberté de religion, il ne faut pas oublier que toutes les interprétations ne sont pas égales aux yeux d’une société démocratique », affirme-t-il, en citant entre autres « la polygamie, l’excision, les inégalités en matière de succession, la répudiation de la femme » ou encore « le droit du mari de discipliner sa femme ».
Dans un autre avis dissident, son collègue portugais estime que les arguments des plaignantes « tiennent essentiellement de l’artifice, car elles recourent à l’argument d’une restriction à la liberté de pensée, de conscience et de religion pour régler un problème qui est avant tout politique ».
« Il aurait fallu, à mon avis, que le Comité examine cette forme extrême et radicale de croyance religieuse avec une grande circonspection pour parvenir à une décision juste et raisonnable », écrit José Manuel Santos Pais, pour qui les constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU pourraient « et c’est regrettable, amener certains États à penser que l’imposition du voile intégral est en passe de devenir une politique acceptée ».
Contrairement aux conclusions de ces experts, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a, pour sa part, validé à deux reprises, en 2014 et en 2017, l’interdiction du niqab ou de la burka en France et en Belgique.
La Croix