Premier service égyptien de vidéos à la demande, lancé début mai pour le ramadan en pleine saison des séries télévisées, « Watch iT » tarde à prendre son envol, conspué pour des tarifs jugés prohibitifs et des défaillances techniques.
Thrillers haletants, drames sentimentaux ou comédies familiales, les fameux « moussalsalat » égyptiens du ramadan réunissent traditionnellement les familles devant le petit écran, au moment du repas de rupture du jeûne musulman et jusque tard dans la nuit.
Ces dernières années, de nombreux spectateurs, surtout chez les nouvelles générations, visionnent en décalé les épisodes en streaming sur YouTube, après leur première diffusion à la télévision.
A ce titre, l’application égyptienne « Watch iT », lancée le 1er mai, ambitionne de damer le pion au mastodonte californien.
Dans un communiqué, Tamer Mursi, le PDG d’Egyptian Media, le conglomérat dont fait partie « Watch It », s’est targué du rôle joué par son groupe « dans la modernisation des moyens offerts au spectateur pour visionner les contenus tout en suivant la tendance à la protection des droits (de propriété intellectuelle) ».
– Piratage? –
En théorie, la plateforme propose donc 15 séries sur les 26 produites dans le pays pour le ramadan 2019, pour un tarif mensuel de 99 livres (5 euros), semestriel de 555 livres (29 euros) ou annuel de 999 livres (52 euros). Le service Play Store de Google a enregistré plus de 10.000 téléchargements de l’application.
Mais l’offre n’a pas encore rencontré le succès escompté.
« C’est beaucoup trop cher », s’indigne Youssef Ahmed, un père de famille de 48 ans en faisant ses provisions au Caire pour les premiers jours du jeûne. « De toute façon, c’est mieux de regarder les séries à la télévision en famille », dit-il à l’AFP.
Sur les réseaux sociaux comme sur les plateformes de téléchargements de l’application, Play Store et Apple Store, les internautes tancent vertement ces tarifs, dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas les 200 euros.
Pire, l’impossibilité d’accéder au contenu de « Watch iT », dont les raisons ne sont pas officiellement connues, a provoqué une salve d’attaques.
L’AFP n’a pas eu accès au contenu de l’application, des messages d’erreur apparaissant à chaque tentative d’inscription. Le site a été victime d’un « piratage », avancent des internautes et des médias locaux.
Contacté, Egyptian Media n’a pas répondu aux questions de l’AFP.
Mastodonte des médias privés, ce conglomérat détient plusieurs chaînes de télévision, des journaux à grands tirages, des sociétés de production, des entreprises de marketing. Ses détracteurs l’accusent de « monopole ».
Il serait la propriété des puissants services de renseignements, selon une enquête du journaliste Hossam Bahgat parue sur le site indépendant Mada Masr.
« Quand une telle entreprise lance un service pareil, elle est censée l’expérimenter correctement bien avant son entrée sur le marché », observe Ahmed Hamdi, journaliste artistique au journal économique « Al Mal ».
Le moment est pourtant propice à ce type d’initiative. « Nous sommes entrés dans l’ère des plateformes numériques internationales comme Netflix ou Amazon », explique-t-il à l’AFP.
Mais selon lui, et pour de nombreux critiques, l’industrie des séries du ramadan n’est pas à la hauteur du défi. Victime ces dernières années d’une désorganisation générale, elle se caractérise par des tournages réalisés dans la précipitation et des scénarios bâclés.
– « Défis » –
« »Watch iT » est une expérience nouvelle sur le marché égyptien et totalement justifiée tant sur le plan fonctionnel que financier mais elle est confrontée à de nombreux défis », confirme à l’AFP Ahmed Adel, responsable de recherches sur les télécoms à Beltone Financial.
L’un de ces challenges, selon lui, c’est qu’il ne peut concurrencer les plateformes internationales ou du Golfe. L’américain Netflix ou l’émirati Wavo, techniquement irréprochables, proposent un contenu plus étoffé avec des dizaines de séries et films occidentaux, arabes ou turcs, à un tarif moindre.
Un des autres défis, souligne M. Adel, ce sont « les contenus illégaux qui sont disponibles dans les pays arabes en grande quantité ».
Plus de 40 millions de personnes ont accès à internet dans le pays le plus peuplé du monde arabe (près de 100 millions d’habitants), les trois quarts étant des utilisateurs des réseaux mobiles, selon les derniers chiffres du ministère des Télécommunications.
AFP