L’initiative est symbolique : le tribunal correctionnel de Bobigny a jugé quatre affaires de discrimination, jeudi 18 avril, lors d’une même audience. L’opération s’inscrit dans le cadre de la collaboration entre le pôle anti-discriminations du parquet de Bobigny et le Défenseur des droits – autorité constitutionnelle indépendante qui a saisi le procureur sur ces cas.
Quatre histoires différentes, mais dont chacune apparaît comme le symptôme d’un même phénomène. Une femme qui s’est vue interdire un vol en avion en raison de son handicap. Une autre que l’on refuse d’employer au regard de son état de grossesse. Un homme que l’on n’a pas embauché pour un poste de bagagiste parce qu’il porte une barbe trop longue et trop fournie, laissant supposer son appartenance à la religion musulmane. Enfin, une affaire surprenante dans laquelle un chef d’entreprise juif pratiquant refuse d’employer des hommes et femmes de ménage maghrébins car « ils pourraient agresser le personnel » et qu’il ne veut pas prendre de risque « pour éviter des morts ».
Le but de cette audience spéciale est de « sensibiliser le public et les citoyens », explique le procureur Abdelkrim Grini. « Pour que les victimes de discriminations sachent que ces comportements sont condamnés et que les auteurs encourent un risque. » A chaque fois, sauf dans l’affaire du handicap, renvoyée à une date ultérieure, le parquet a requis une peine d’amende assortie d’une publication de la décision dans un quotidien national. » Coup de pub, en témoigne la réquisition d’une peine complémentaire de publication », rétorque Me Moret, avocat du salarié barbu. Pour lui, son client subit les conséquences de l’opération échafaudée par le Défenseur des droits et le procureur de la République de Bobigny. « Vous voulez dire à vos concitoyens qu’en Seine-Saint-Denis on ne poursuit pas que des vols et des meurtres, on s’occupe aussi de discrimination », poursuit l’avocat à l’attention du procureur.
L’affaire marquante de cette journée marathon fut celle opposant Jean-Luc Benady au ministère public, saisi à la suite d’une plainte de Pôle emploi auprès de la HALDE, l’autorité de lutte contre les discriminations aujourd’hui dissoute mais dont les missions ont été confiées au Défenseur des droits. Le gérant de PME a refusé, à maintes reprises, de recruter des candidats « qui ne supporteraient pas des personnes de confession juive », selon ses dires.
TENSIONS COMMUNAUTAIRES
Seul prévenu à ne pas nier le caractère discriminatoire des faits qui lui sont reprochés, le chef d’entreprise portant kippa et barbe poivre et sel est à cran. « Vous n’imaginez pas quel danger je fais encourir à mon personnel en laissant les clés des locaux à un arabe, s’écrie le prévenu. Cela s’appelle le principe de précaution, comme pour les OGM ! »
Il poursuit : » Si je sors dans la rue, dans le 9-3, il me semble que je pourrais ne pas revenir vivant. Je ne comprends pas que mon discours vous étonne. » L’échange avec les magistrats est musclé. Après avoir relevé que M. Benady venait d’embaucher une salariée musulmane originaire d’Afrique noire, le président du tribunal, Pascal Lacord, demande au prévenu : « Il n’y a que les Maghrébins qui puissent être antisémites ? » « Oui, il n’y a qu’eux qui agressent, répond le prévenu. De plus, je ne savais pas qu’elle était musulmane. Je l’ai appris quand elle m’a annoncé faire le ramadan. Je ne pouvais pas deviner car elle est noire et n’a jamais posé de problème. » Le président lui demande d’éclairer l’assistance sur le sentiment qui l’anime. Est-ce lié à son expérience ? A-t-il été agressé par des Maghrébins, des musulmans ? Sa société a-t-elle seulement été attaquée une fois ? « Les agressions antisémites à Montreuil, c’est tous les jours, explique Jean-Luc Benady. Mon entreprise n’a jamais rien eu mais le rabbin, lui, a reçu plusieurs lettres de menace de mort. « La réponse est donc, à chaque fois, négative.
L’affaire plonge l’audience au cœur des tensions communautaires en Seine-Saint-Denis. Le procureur tempère et rappelle qu’il est, entre autres, chargé des agressions antisémites dans le département. Il avance le chiffre de vingt cas de ce type recensés pour l’année 2012 et suggère au prévenu la lecture de La Confrérie des éveillés, de Jacques Attali. Un ouvrage dans lequel il est question de dialogue entre les communautés. Le procureur a requis 5 000 à 6 000 euros d’amende.
Jugement le 20 juin.
Source : Le Monde.fr