Le Royaume a lancé une vaste campagne de communication destinée à inviter les touristes à découvrir un pays qui s’affranchit parfois du respect des droits de l’homme.
L’affiche ressemble à n’importe quelle autre publicité pour un club de vacances dans un pays exotique. Placardée sur la façade d’un immeuble haussmannien au coeur des grands boulevards parisiens, un archipel exotique bordé d’eaux turquoises vous invite à découvrir… l’Arabie saoudite. Une destination inédite tant le Royaume du Golfe est historiquement fermé aux touristes mais aussi régulièrement accusé d’atteintes aux droits de l’homme. L’ONG Reporters sans frontières n’a d’ailleurs pas manqué de signaler que l’installation de cette réclame XXL, au début du mois d’octobre, tombait presque jour pour jour après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué et démembré par des agents de Riyad au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.
RSF a saisi la justice française la semaine dernière pour obtenir, en vain, le retrait de l’affiche au nom d’une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine. « A notre connaissance, 32 journalistes sont incarcérés dans ce pays. On ne peut laisser croire à tous les passants que l’Arabie saoudite est un paradis désertique en faisant fi des oppressions quotidiennes », dénonce Christophe Deloire, journaliste et secrétaire général de RSF.
Entre 50 et 100 milliards d’euros investis
Ryad prend le pari malgré tout. L’Arabie saoudite a annoncé fin septembre qu’elle allait délivrer pour la première fois des visas de tourisme, ouvrant ses portes aux vacanciers de 49 pays. Pour les convaincre que le Royaume est une destination de rêve, le prince héritier Mohammed Ben Salman compte sur l’expertise française. Sa visite officielle en France, il y a plus d’un an, avait abouti à un partenariat pour développer le parc touristique saoudien, notamment à Al-Ula, site millénaire classé par l’Unesco, afin d’y développer les infrastructures adaptées. Le montant total de l’investissement est estimé entre 50 et 100 milliards d’euros. Depuis, la langue de Molière se fait de plus en plus entendre dans le désert. Une agence de développement destinée à piloter le projet d’Al-Ula a été créée avec sa tête Gérard Mestrallet, ex-PDG d’Engie. Sans surprise, c’est Jean Nouvel, le plus célèbre des architectes français, qui est à la manoeuvre pour dessiner un futur « resort » troglodyte à la lisière du site. Sur place, des prestigieuses écoles françaises s’efforcent à former la population locale aux métiers de la gastronomie et de l’hôtellerie tandis qu’à Djeddah, plus au sud, l’Opéra de Paris travaille à l’édification du premier équivalent saoudien. Le tout sera mis en avant par les plus grandes agences de communication de la place parisienne – Publicis, Havas, Image 7 et DGM conseil – qui ont toutes signé de juteux contrats pour améliorer l’image controversée du Royaume dans l’Hexagone.
Expo à l’institut du monde arabe
Sur la très chic place Vendôme à Paris, c’est une autre imposante affiche aux allures de conte des Mille et Une Nuits qui appelle à découvrir les ruines d’Al-Ula. L’Institut du monde arabe a d’ailleurs ouvert une exposition autour de l’oasis et ses sanctuaires creusés dans la roche. Jack Lang, le président de l’établissement, avait été invité sur le site il y a cinq ans, avant que le pays entame son ouverture internationale.
« Lorsque j’ai été sollicité en 2017 par la Commission royale pour Al-Ula à réfléchir aux moyens pour mettre en avant le site, j’ai proposé une exposition pour faire découvrir ses merveilles archéologiques », nous raconte l’ancien ministre de la culture. « Le développement du tourisme suppose aussi que le pays soit moins rigoriste et les effets sont déjà visibles pour les femmes et la jeunesse saoudienne », ajoute-t-il. Néanmoins, l’image de l’Arabie saoudite reste associée pour beaucoup à la répression. Sadiq Khan, le maire de Londres, a décidé de bannir toutes les affiches de publicité provenant de pays qui ne respectent pas les droits des personnes LGBT, dont l’Arabie saoudite, où l’homosexualité est considérée comme un crime.
L’Express- L’Expansion