Antisémitisme: fin d’une vive polémique entre le Grand Orient de France et le Crif

La principale obédience maçonnique française a retiré, lundi, un texte qui accusait le Conseil représentatif des institutions juives de France de favoriser l’antisémitisme. Explications.

«Non, les francs-maçons ne sont pas antisémites, comme ils ne sont ni racistes, ni xénophobes». Le communiqué publié par le Grand Orient de France, lundi, et signé par le Grand Maître Jean-Philippe Hubsch, n’est pas banal. À quelques jours du Convent annuel de la première obédience maçonnique de France, qui se tient à Rouen du 29 au 31 août, ce document entend clore une polémique qui s’est enflammée avec le Crif, le Conseil représentatif des institutions juives de France.

Un membre de l’une des 1360 loges de cette obédience – la loge parisienne «Maximilien l’Incorruptible», qui totalise 53.000 membres – a en effet rédigé en juin dernier ce que les francs-maçons appellent un «vœu», c’est-à-dire une courte note d’orientation destinée à être soumise au vote de l’assemblée générale, qui se réunit à Rouen cette fin de semaine.

Ce texte demandait tout simplement aux responsables du Grand Orient de «ne plus participer aux différents événements organisés par le Conseil représentatif des institutions juives de France». Motif de ce boycott de l’institution la plus représentative des juifs en France à côté des instances religieuses: le «suivisme» du Crif, selon le rédacteur du vœu, de la «politique d’Israël», qualifiée de «politique de l’extrême droite religieuse». Le texte dénonçant au passage «le grignotage par Israël des territoires palestiniens». Ce qui conduirait à une «montée de l’antisémitisme».

Ce vœu, une fois adopté par la loge, a été ensuite transmis au congrès régional du Grand Orient pour vote et approbation. Puis il a été inscrit et publié, dans le dossier des membres de l’assemblée générale nationale, le Convent. Ce qui a alors conduit certains francs-maçons à en prendre connaissance. Scandalisés par son contenu, ils ont décidé de le rendre public il y a quelques jours, déclenchant cette violente polémique.

De la colère à l’incompréhension

«Je suis passé de la colère, puis de la stupéfaction à l’incompréhension», explique Francis Kalifat, le président du Crif. «Comment une institution comme la Franc-Maçonnerie pouvait-elle émettre un vœu à la limite diffamatoire pour le Crif et à la limite antisémite par les termes employés? Certes, j’ai aussitôt reconnu la prose mélenchonienne qui n’hésite pas, c’est un comble, à rendre le Crif responsable de l’antisémitisme mais j’ai eu très vite une conversation avec le Grand Maître du Grand Orient. Il était aussi effondré que moi. Il m’a expliqué l’origine du problème. Nous nous sommes trouvés en osmose de pensée sur cette affaire.»

C’est le texte de ce «vœu» que le Grand Orient a donc formellement décidé, lundi, de retirer définitivement. Comment toutefois un tel «vœu» a-t-il failli arriver au Convent national du Grand Orient?

L’origine du problème est double, explique une source interne à cette organisation. Un franc-maçon connu pour ses «opinions antisioniste et mélenchoniste», membre d’une loge «partageant cette même vision», a effectivement rédigé ce texte. Il aurait dû être soumis à un vote de niveau régional avant d’être destiné au vote national du Convent. Mais il est passé à travers les mailles du filet sans que l’instance régionale ne puisse le consulter. Il s’est alors retrouvé dans le catalogue des vœux à voter par les délégués nationaux.

Le 26 août, explique plus officiellement le Grand Orient par communiqué, la commission régionale saisie de ce texte a «légitimement décidé de le retirer» pour deux raisons. La première tient à la forme: «ce vœu, indique la même source, n’a jamais été présenté au congrès de la région de rattachement de cette loge (Région Paris 3) et il n’aurait pas dû être transmis pour analyse au Convent». La seconde concerne le fond: «comment, indique ce même communiqué, peut-on imaginer que des francs-maçons du Grand Orient de France puissent être antisémites? L’antimaçonnisme et l’antisémitisme sont deux formes de haines, souvent jointes dans l’obsession du complot judéo-maçonnique, et le sang de nos ancêtres juifs et francs-maçons n’a que trop coulé dans l’histoire».

La haine d’Israël

«L’affaire est désamorcée mais le mal est fait, regrette une source interne au Grand Orient qui requiert l’anonymat. Le Grand Orient est progressiste. Il a des loges en Israël. Il est favorable à une solution à deux États indépendants. Mais il n’a strictement rien à voir avec l’antisémitisme. La justice maçonnique interne sera probablement saisie.»

«L’affaire est close» pour Francis Kalifat, le président du Crif, qui se dit «pleinement satisfait» de la façon dont le Grand Orient a réagi pour la traiter et il assure qu’«il n’y a pas de rupture entre le Crif et le Grand Orient».

Mais ce responsable se montre très inquiet car une «telle polémique ne se serait jamais produite» il y a quelques années: «la société française est perméable à la diffusion d’un nouvel antisémitisme, observe Francis Kalifat, qui n’est pas suffisamment combattu et traité: la haine d’Israël. S’il est légitime de critiquer la politique israélienne – et personne ne s’en prive en Israël -, cela ne peut pas conduire à la délégitimation de l’existence de l’État d’Israël. Or, c’est précisément ce que vise ce nouvel antisémitisme. Sous ce masque, il travaille à la fin d’Israël. Il est donc urgent en France de passer de franchir un pas indispensable. L’Assemblée nationale française doit voter la résolution présentée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) qui inclut, dans la définition de l’antisémitisme, la haine d’Israël».

 

Le Figaro.fr

F. Achouri

Sociologue.

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