Le groupe jihadiste a revendiqué la tuerie qui a visé vendredi soir une salle de concert près de Moscou, faisant au moins 137 morts. C’est la première fois qu’il reconnaît une attaque d’une telle ampleur.
C’est le pire attentat de ces vingt dernières années en Russie. Une attaque dans une salle de concert de la banlieue de Moscou, la capitale russe, a fait au moins 137 morts et 182 blessés, vendredi 22 mars dans la soirée. L’attaque du Crocus City Hall a été revendiquée dans la foulée par l’organisation Etat islamique (EI). « Elle a été menée par quatre combattants de l’EI armés de mitrailleuses, d’un pistolet, de couteaux et de bombes incendiaires », a assuré le groupe sur Telegram.
Après avoir refusé, dans un premier temps, de commenter cette revendication, Vladimir Poutine a affirmé lundi soir que l’attentat avait été commis par « des islamistes radicaux » qui, selon lui, ont tenté de fuir vers l’Ukraine. Le Kremlin avait annoncé dimanche l’interpellation et la mise en détention de quatre suspects, puis de trois autres lundi.
C’est plus précisément la branche afghane du mouvement jihadiste, l’Etat islamique du Khorasan (EI-K), qui a revendiqué l’attaque dans un communiqué sur Telegram. Le Khorasan signifie en persan « là d’où vient le soleil » et est le nom médiéval de l’Afghanistan, qui englobait une région allant du Turkménistan au Tadjikistan actuels, souligne Le Figaro. Créé en 2015 par d’anciens talibans afin d’étendre le combat de l’organisation jihadiste en Asie centrale, l’EI-K a mené plusieurs attaques sanglantes ces dernières années en Afghanistan et en Iran, avant de s’en prendre à la Russie.
Un conflit idéologique avec les talibans
L’EI-K et les talibans sont deux forces qui s’opposent en Afghanistan. « L’Etat islamique, partisan du jihad global, essaie de déborder les talibans dans la radicalité », expliquait le spécialiste du terrorisme Marc Hecker, directeur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) en 2021, au JDD. « Lorsque les talibans tentent d’améliorer leur image internationale en communiquant sur la place des femmes ou des minorités ethniques, les membres de [l’Etat islamique] considèrent que c’est un dévoiement de l’islam. »
Selon Didier Chaudet, chercheur associé à l’Institut français d’études sur l’Asie centrale, le retour des talibans au pouvoir à Kaboul en août 2021 a, dans un premier temps, « forcé l’EI-K à rentrer dans une logique de guérilla » avec les fondamentalistes islamistes, assure-t-il à franceinfo.
« L’EI-K a pu recruter au sein des anciens combattants de l’armée afghane, ou parmi des minorités sunnites, que les talibans menaçaient. »Didier Chaudet, spécialiste de l’Asie centrale
à franceinfo
Avec le temps, ils ont capitalisé sur les faiblesses des talibans pour élargir leurs rangs.
Une intense propagande en Asie centrale
Pour gonfler leurs troupes, les membres de l’EI-K multiplient les actions de propagande en Asie centrale. Dès 2014, « CD et tracts sont diffusés dans des mosquées à l’ouest de Kaboul ainsi qu’à Jalalabad (à l’est de l’Afghanistan, capitale du Nangarhâr) », mais aussi « dans les camps de réfugiés afghans » au Pakistan, explique une note de la Fondation pour la recherche stratégique(FRS). Cela a permis à l’organisation d’étendre petit à petit « son influence dans le nord et l’est du pays », estime la FRS.
Au-delà du Pakistan, « le rêve de l’EI-K est de déstabiliser les pays d’Asie centrale, assure Didier Chaudet. Depuis deux ans, il y a eu un gros travail de propagande en langue tadjike et ouzbèke, pour être sûr de toucher tout le monde ». Dans un rapport établi en 2023 sur la menace que représente le groupe Etat islamique (en PDF), l’Organisation des nations unies (ONU) estime d’ailleurs que « le renforcement des capacités médiatiques et opérationnelles de l’EI-K a fait courir le risque d’inspirer un plus grand nombre d’acteurs solitaires dans la région. »
Dès 2015, selon l’ONU, les membres de l’EI-Khorasan mènent des attaques ciblées sanglantes sur le sol afghan et dans la région, « même si ces groupes n’ont pas la capacité, la coordination ou le soutien local nécessaires pour contrôler un territoire important », souligne le think tank Center for Strategic and International Studies.
En 2021, le groupe avait ainsi mené le double attentat suicide aux abords de l’aéroport de Kaboul, qui avait fait plus d’une centaine de morts, dont 13 militaires américains. Plus récemment, en janvier 2024, l’EI-K a revendiqué la double explosion dans le sud de l’Iran, près de la tombe du général Qassem Soleimani, ex-architecte des opérations militaires iraniennes au Moyen-Orient. Ce jour-là, 85 personnes étaient mortes.
La Russie visée en partie pour son implication en Syrie
La branche afghane de l’EI « fait une fixation sur la Russie depuis deux ans, critiquant fréquemment le président Vladimir Poutine dans sa propagande », a déclaré au New York Times Colin P. Clarke, analyste spécialiste du terrorisme au sein de la société de conseil en sécurité Soufan Group. « L’EI-K accuse le Kremlin d’avoir du sang musulman sur les mains, faisant référence aux interventions de Moscou en Afghanistan, en Tchétchénie et en Syrie. »
En Tchétchénie, les rebelles séparatistes se sont peu à peu islamisés après la première guerre (1994-1996), jusqu’à l’allégeance au groupe Etat islamique de la rébellion armée islamiste dans le Caucase russe, en juin 2015. « Pour nombre de jeunes Tchétchènes, Daghestanais et Ingouches en quête de leurs racines ethniques et spirituelles dans un contexte d’instabilité politique et sociale, la religion est apparue comme la seule idée valable et digne d’être défendue », expliquait en octobre Emil Souleimanov, professeur de sciences politiques, à franceinfo. Cette même année 2015, Vladimir Poutine a ouvert un nouveau « front » à l’étranger avec le groupe jihadiste en lançant des interventions militaires sur le sol syrien, pour soutenir le président Bachar Al-Assad.
Des menaces déjouées en Europe
En 2023, l’EI-K s’étend progressivement au-delà des frontières de l’Asie centrale. Dans son rapport annuel, l’ONU souligne que « l’EI-K pourrait mener des attaques à fort impact contre des pays occidentaux et leurs intérêts à moyen terme, comme l’a démontré l’attentat récemment déjoué à Strasbourg« , pendant les fêtes de fin d’année.
Après le relèvement du plan Vigipirate à son niveau maximal, le président Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé lundi que la branche du groupe jihadiste « impliquée » dans l’attentat de Moscou « avait conduit ces derniers mois plusieurs tentatives » sur le « sol » français.
La France n’est pas un cas isolé : en juillet 2023, dans la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, en Allemagne, la police avait arrêté sept membres d’un groupe terroriste qui étaient en contact avec des membres de l’EI-K, selon le parquet de Karlsruhe. Dans le cadre des investigations, deux arrestations avaient également été effectuées aux Pays-Bas.
Franceinfo