Neuf mois de conflit et plus de 6 000 morts. La guerre continue de faire rage au Yémen, où les trêves et les pourparlers de paix se succèdent, sans mettre un terme aux violences qui affectent directement 80 % de la population du pays. Mardi 22 décembre, un cessez-le-feu, entré en vigueur une semaine plus tôt, a été prolongé, mais les hostilités n’ont pas cessé.
Comment le conflit a-t-il débuté ?
Le conflit au Yémen a débuté lorsque les miliciens houthistes, issus de la minorité zaïdite (branche du chiisme) en lutte contre les autorités de Sanaa depuis le début des années 2000, se sont emparés de larges pans du territoire yéménite.
Partis en juillet 2014 de Saada, leur fief dans le nord, ils ont conquis la capitale, Sanaa, en septembre 2014 avant de poursuivre leur offensive vers le sud, où ils ont pris Aden, deuxième ville du pays, en mars 2015. Abd Rabbo Mansour Hadi, le président reconnu par la communauté internationale, s’y était réfugié. Il a été forcé à s’exiler en Arabie saoudite.
L’offensive des houthistes, soutenus par l’Iran et épaulés par les militaires restés fidèles à l’ancien président, Ali Abdallah Saleh, a incité l’Arabie saoudite à intervenir militairement au nom de la lutte contre « l’expansionnisme perse ».
Le 26 mars, le royaume sunnite, à la tête d’une coalition de pays arabes, lance ses premiers raids aériens pour stopper la progression des miliciens. En plus de leur fournir un soutien aérien, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont également fourni aux troupes loyalistes des équipements militaires ultramodernes et déployé au sol plusieurs milliers d’hommes.
Quel est le rapport de forces sur le terrain ?
A la suite de cette intervention saoudienne, une contre-offensive a permis la reconquête de cinq provinces du Sud, dont celle d’Aden, puis du détroit stratégique de Bab El-Mandeb, à la pointe sud-ouest du pays. Le 22 septembre 2015, le président Hadi rentre à Aden, six mois après avoir fui le pays.
L’objectif des forces loyales au président Hadi appuyées par l’Arabie saoudite est de reprendre Sanaa en progressant par le sud et le centre. Ce mouvement de reconquête a fait reculer les insurgés, mais ceux-ci conservent le contrôle d’une large partie du nord du pays.
Selon le correspondant du Monde à Beyrouth, Benjamin Barthe, aucun vainqueur ne semble s’imposer après neuf mois de guerre, ce qui incite les belligérants à amorcer un dialogue.
Depuis l’intervention de l’Arabie saoudite, le conflit a fait au moins 6 000 morts, 28 000 blessés et 2,5 millions de déplacés, selon les Nations unies (ONU).
Comment les pourparlers sous l’égide de l’ONU avancent-ils ?
Entre le 15 et le 20 décembre, des pourparlers de paix sous l’égide de l’ONU ont pour la première fois réuni les deux parties yéménites de ce conflit meurtrier, alors qu’une précédente tentative avait échoué.
Lors de la première session tenue au mois de juin à Genève, en Suisse, chaque délégation était restée dans son hôtel et l’émissaire de l’ONU, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, avait fait la navette entre eux.
Les nouveaux pourparlers — qui se tenaient à huis clos dans un hôtel du canton de Berne, en Suisse — ont débouché sur des « progrès notables mais insuffisants », selon Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, qui s’est montré sans illusion sur la difficulté des négociations de paix et a demandé le soutien du Conseil de sécurité pour « un cessez-le-feu durable et complet » : les délégations se sont mises d’accord sur la création d’« une commission de contacts […] formée de conseillers militaires des deux parties et supervisée par les Nations unies », pour veiller au respect de la trêve, théoriquement en cours depuis le 15 décembre; les parties sont aussi accordées sur la mise en place de « mesures de confiance, incluant la libération des détenus et des prisonniers ». Les rebelles exigent un échange de détenus alors que la partie gouvernementale réclame la libération des prisonniers aux mains des houthistes, notamment le frère du président Abd Rabbo Mansour Hadi ;le médiateur a également fait état de progrès vers « un cadre de négociations pour un règlement » politique, fondé notamment sur la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’ONU, voté en avril. Ce texte ordonne aux rebelles de se retirer des zones qu’ils ont conquis par la force depuis 2014 et de restituer au gouvernement les armes qu’ils ont saisies.
En revanche, le comité chargé de surveiller l’acheminement de l’aide humanitaire n’a finalement pas vu le jour. Ismaïl Ould Cheikh Ahmed s’est contenté, à l’issue des discussions, d’appeler les protagonistes à « faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones affectées » par la guerre, citant notamment Taëz (dans le Sud-Ouest), la troisième grande ville du Yémen, assiégée depuis plus de trois mois par les miliciens chiites et leurs alliés.« Les négociations ont échoué sur le fond, mais pas dans la forme », a estimé une source au sein de la délégation des rebelles houthistes. « Nous ne sommes parvenus à aucun résultat », a tranché une source de la délégation gouvernementale. Les deux parties doivent se réunir à nouveau le 14 janvier.
Un cessez-le-feu déjà brisé
En parallèle de ces négociations, un cessez-le-feu est entré en vigueur, mardi 15 décembre, puis a été prolongé mardi 22 décembre. Une cessation des hostilités est indispensable pour « créer un environnement propice aux discussions de paix » en cours en Suisse, avait souligné le médiateur de l’ONU. Mais la trêve a été systématiquement violée, chaque jour. D’après des sources militaires, au moins 13 rebelles chiites ont été tués mardi 22 décembre dans le nord de la province de Daleh (dans le sud) où des bombardements ont eu lieu toute la nuit. Ces bombardements ont été attribués aux houthistes. Ils ont été aussi signalés près de Taëz.Toujours selon des sources militaires yéménites, des avions de la coalition arabe ont mené huit raids tôt mardi contre les houthistes et leurs alliés à Rahida et Shreija, dans des zones à la limite des provinces de Taëz et Lahej (dans le sud du pays).
La coalition a par ailleurs menacé les houthistes de « sévères » représailles après l’interception, lundi soir, d’un cinquième tir de missile balistique depuis le Yémen vers la ville frontalière de Jazan, a rapporté mardi l’agence officielle saoudienne SPA.
Les forces aériennes saoudiennes ont détruit la plateforme de tir en territoire yéménite, a précisé SPA. Une telle arme avait fait trois morts samedi dans la ville frontalière de l’Arabie saoudite, Najrane.
Au vu des échecs passés, les experts restent prudents sur la durée de la trêve en cours et sur l’issue des pourparlers. En plus des deux tentatives de négociation, en juin puis en décembre, une trêve humanitaire de cinq jours était déjà entrée en vigueur fin juillet, sans que les combats ne cessent pour autant.
Avant cela, un cessez-le-feu de cinq jours, mi-mai, n’avait pas suspendu les hostilités, et une pause initiée par l’ONU à partir du 10 juillet ne s’est jamais matérialisée.
Des négociations sont-elles amorcées entre l’Iran et l’Arabie saoudite ?
L’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite s’affrontent indirectement au Yémen (comme ils le font aussi en Syrie, en Irak, au Bahreïn et au Liban), le premier fournissant un soutien aux rebelles houthistes et le second aux forces loyalistes. Des « efforts diplomatiques » ont eu lieu pour faciliter un « dialogue direct » entre les deux pays, a déclaré lundi 21 décembre le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Hossein Jaber Ansari, lors de son point de presse hebdomadaire.Ces consultations sont destinées à favoriser « un cessez-le-feu permanent et total, une amélioration de la situation humanitaire et un retour à une transition politique pacifique et ordonnée », selon le communiqué du ministère.
Comment les groupes djihadistes s’insèrent-ils dans ce contexte ?
Profitant du chaos ambiant, des groupes terroristes rivaux sévissent et s’affrontent sur le terrain, rendant la situation encore plus complexe. L’organisation Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), née de la fusion en 2009 des branches saoudienne et yéménite du réseau, avait profité de l’affaiblissement du pouvoir central en 2011, à la faveur de l’insurrection populaire contre l’ex-président Saleh, pour renforcer son emprise dans le sud et le sud-est du pays. Dirigée depuis juin 2015 par le Yéménite Qassem Al-Rimi, qui a succédé à Nasser Al-Wahishi, tué dans une attaque de drone américain, AQPA axe ses opérations contre les houthistes mais a perdu du terrain en faveur du groupe Etat islamique (EI).
L’organisation Etat islamique (EI) a signé ses premiers attentats au Yémen en attaquant, le 20 mars, plusieurs mosquées fréquentées par des chiites à Sanaa (142 morts). Il a ensuite élargi ses opérations dans le Sud, qui était la chasse gardée d’AQPA. Il a revendiqué le 6 octobre quatre attaques suicides (15 morts) contre le siège du gouvernement et des sites militaires de la coalition arabe. Le 6 décembre, l’EI a également tué le nouveau gouverneur d’Aden, dans un attentat à la voiture piégée, quelques semaines seulement après son retour d’exil en Arabie saoudite.
Le Monde.fr