Mercredi matin, la cour d’appel a confirmé le licenciement d’une salariée voilée de la crèche privée Baby-Loup, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), annulé en cassation, une affaire devenue emblématique dans le débat sur la laïcité. Siégeant en personne à l’audience du 17 octobre – tout comme le premier président, Jacques Degrandi -, le procureur général, François Falletti, avait préconisé la confirmation du licenciement, demandant à la cour de « résister » à la Cour de cassation. « Pour nous, cette victoire est d’abord celle d’une idée généreuse, singulière et universaliste, l’idée que ce qui nous rassemble doit être privilégié (par rapport) à l’exacerbation de nos différences, fussent-elles religieuses »; a expliqué Richard Malka, avocat de la crèche. « C’est l’affirmation que si la religion est sacrée pour certains, elle n’est pas sacralisée par la République », a-t-il ajouté.
Avant que la décision ne soit rendue, Me Michel Henry estimait que « tout le monde cherch(ait) à donner à cette affaire » un caractère d' »exemplarité », alors que lui avait tendance à penser que c’était un « problème résiduel d’intégration ». En 2008, Fatima Afif avait été licenciée parce qu’elle avait annoncé son intention de porter le voile à son retour de congé maternité. Ce qu’avait refusé Natalia Baleato, la directrice de la crèche, en lui opposant la « neutralité philosophique, politique et confessionnelle » inscrite au règlement intérieur depuis 1990. L’ex-employée avait été déboutée à deux reprises par la justice, une première fois devant le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) en novembre 2010, puis devant la cour d’appel de Versailles en octobre 2011. Dans un arrêt vivement attaqué à gauche comme à droite, la Cour de cassation avait estimé le 19 mars dernier que « s’agissant d’une crèche privée », ce licenciement constituait « une discrimination en raison des convictions religieuses » de l’ex-salariée. L’affaire avait alors été renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Si « la liberté religieuse est un principe fondamental », « les missions d’éveil et du développement de l’enfant (…) sont de nature à justifier des restrictions », avait argumenté le procureur général Falletti.
« Je ne suis pas le porte-étendard d’une cause »
Pour le haut magistrat, l’atteinte à cette liberté, matérialisée par le règlement intérieur de la crèche, est dans cette affaire contrebalancée par « un impératif d’intérêt général ». Dès lors, cette atteinte est « proportionnée », avait-il soutenu. Dans la mesure où des voies de recours subsistent, cette affaire est peut-être loin d’être terminée. « Arrivée à ce stade », Fatima Afif « ne renoncera pas », avait soutenu son avocat, expliquant que si elle était à nouveau déboutée, elle formerait « probablement » un nouveau pourvoi, qui serait cette fois examiné par la Cour de cassation en formation plénière. « J’irai jusqu’à la Cour européenne (des droits de l’homme NDLR) s’il le faut », avait déclaré Fatima Afif dans une interview au Nouvel Observateur. Réagissant à l’arrêt de la cour d’appel, Me Michel Henry a fustigé « cette espèce de populisme qu’exprime » une partie de la haute magistrature, ce « courant de pensée qui se sent atteint dans ses racines par la montée du fait religieux ». « On invente une exigence que la loi ne prévoit pas, protéger la liberté de conscience des petits enfants. On invente une catégorie juridique d’entreprise, qui n’existe pas, l’entreprise de conviction », a ajouté l’avocat.
Estimant s’être plutôt « émancipée avec le voile », cette femme de 44 ans avait déclaré au Nouvel Obs : « Je ne suis le porte-étendard d’aucune cause, je demande seulement la justice. » À la suite de l’arrêt Baby-Loup rendu en mars, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer dans les textes législatifs l’extension de la neutralité dans le secteur public à des sphères privées, notamment dans la petite enfance. Mais l’hypothèse d’une loi sur la laïcité a été écartée par l’Observatoire de la laïcité, installé par François Hollande. Fondée en 1991 dans un quartier pauvre et multiculturel, la crèche accueille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 des enfants de familles monoparentales aux horaires décalés, et souvent défavorisés. La crèche fermera le 31 décembre à Chanteloup-les-Vignes, et son déménagement dans la ville de Conflans-Sainte-Honorine reste à confirmer. Selon un sondage BVA pour i>Télé-CQFD publié le 19 octobre, « les Français soutiennent quasi unanimement (à 87 %) la direction » de la crèche.
Source : AFP