Soupçonnés de collusion avec l’ex-Séléka, les musulmans, violemment pris à partie, fuient par dizaines de milliers. L’ennui, c’est que leur contribution à l’économie nationale est cruciale.
Il n’y a plus un seul musulman à Bozoum, à 400 km de Bangui, dans le Nord-Ouest. Le 5 février, un convoi de camions dépêché par les autorités tchadiennes est venu chercher les 2 500 civils restants. Trois semaines plus tôt, 3 500 de leurs coreligionnaires avaient pris le même chemin. Et ces scènes se sont répétées dans la plupart des villes du Sud et de l’Ouest. Seul un millier de musulmans, sur un total estimé à 8 000, demeureraient encore à Bossangoa. À Carnot, près de 15 000 d’entre eux ont fui pour le Cameroun ou le Tchad.
Vidée de près de 75 % de sa population musulmane, Bangui n’a pas échappé à ce déchaînement de violence, nourri par une soif de revanche. Les premiers à partir ont été les ressortissants étrangers. Sénégalais, Camerounais, Maliens, Nigérians et, bien sûr, Tchadiens : ils sont plus de 20 000 à avoir regagné leur pays d’origine. Puis est venu le tour des Centrafricains. Depuis plusieurs semaines, des camions pris d’assaut et escortés par des soldats tchadiens de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) et par l’armée tchadienne se sont succédé à la sortie de Bangui.
Le départ de la minorité musulmane, qui représentait 15 % de la population, « est une très mauvaise nouvelle parce qu’elle va entraîner la disparition d’une couche de la société indispensable à la reprise économique », s’inquiète Roland Marchal, chercheur au Ceri-Sciences-Po,
qui rend la France en partie responsable de cette situation. « Il est scandaleux que Paris n’ait pas pris en compte les conséquences économiques et politiques de son intervention. »
Qu’ils soient centrafricains ou étrangers, les musulmans ont toujours joué un rôle primordial dans l’économie nationale. Dans les villes, ils détenaient 90 % des commerces. En province, la majorité des éleveurs de gros bétail sont des Peuls mbororo. Leurs boeufs assuraient le bon fonctionnement de la culture attelée pratiquée par les agriculteurs du Nord et de l’Ouest.
Certains veulent croire à un retour à la normale
Les mines diamantifères étant encore exploitées de manière clandestine au profit des ex-Séléka, l’État centrafricain se voit ainsi privé d’un autre pan de son économie. « Les conséquences se font déjà sentir, explique Marie-Noëlle Koyara, la ministre du Développement durable. Il y a un début de pénurie sur les marchés, où le prix de la viande a doublé. Il faut absolument que nous réglions ce problème de sécurité. »
Cette situation est-elle irréversible ? Certains veulent croire à un retour à la normale, rappelant que des mosquées avaient déjà été incendiées en 2003 et qu’il y a une dizaine d’années un conflit entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades avait déjà poussé ces derniers à l’exil vers le Tchad et le Cameroun. Une longue médiation avait permis leur retour.
Les plus pessimistes estiment que la cassure est cette fois trop profonde. « Nous sommes nés ici, et du jour au lendemain nos voisins ont brûlé nos corans et détruit nos mosquées », se désole Abakar Mahamat, imam dans le 5e arrondissement de Bangui. Lui aussi se prépare à l’exil : « Tous mes voisins sont partis, comment voulez-vous que je reste ? Et si la vie est meilleure au Tchad, nous ne reviendrons pas. »
Jeune Afrique