Eglise catholique et extrême droite : des relations parfois troubles

Si l’épiscopat a récemment voulu rappeler sa fermeté à l’égard de l’extrême droite, cela n’a pas toujours été le cas, surtout dans la première moitié du XXe siècle.

 

 

© Leo NOVEL/CIRIC       La stratégie de « cordon sanitaire » que l’Église observe à l’égard du FN depuis bien des années réduit les lieux de rencontre entre catholiques et extrême droite à des sphères marginales et radicales. La fameuse invitation de Marion Maréchal-Le Pen à l’université d’été de la Sainte-Baume est à cet égard une exception. Mais cette attitude de fermeté des autorités religieuses n’a pas toujours prévalu.

« C’est une constante dans l’histoire : l’Église et l’extrême droite peuvent se considérer comme des alliés objectifs contre un régime politique jugé anti-clérical. Mais le but final recherché de part et d’autre diffère. Résultat : un conflit survient inévitablement », observe Charles Mercier, maître de conférence d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux. Au début du XXe, les idées de nationalisme intégral de Charles Maurras séduisent ainsi de nombreux catholiques et ecclésiastiques qui sont restés contre-révolutionnaires.

Mais Rome finit par poser les limites : en 1926, le pape Pie XI met à l’index des ouvrages de l’essayiste agnostique qui prône la subordination de la religion au politique et au nationalisme, et invoque les institutions catholiques comme garant de l’ordre et de la civilisation. Le 8 mars 1927, les membres de l’Action française sont aussi interdits de sacrements. Mais, en 1939, ils sont réhabilités par Pie XII. Puis, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’épiscopat français affiche sa proximité avec le maréchal Pétain, tandis que Rome condamne le nazisme et le fascisme italien. « Les évêques estiment alors que les mots « travail, famille, patrie » s’accommodent bien avec la doctrine sociale de l’Église de l’époque », souligne Philippe Portier (1), directeur au CNRS du groupe sociétés, religions et laïcités.

Après la Guerre, ces convergences entre l’Église instituée et l’extrême droite disparaissent. « Aux lendemains du conflit, catholiques et ecclésiastiques suivent dans leur majorité un double alignement politique : démocrates chrétiens ou gaullistes », souligne le politologue de l’université de Picardie Jules Verne Joël Gombin, spécialiste de l’extrême droite. Affaiblis par le mouvement d’épuration, les courants d’extrême droite continuent d’être irrigués par la mouvance traditionnaliste. Fondée en 1946 par Jean Ousset, la Cité catholique, une organisation de formation des jeunes, nourrit idéologiquement des officiers d’extrême-droite en Algérie.

Le modernisme qui souffle à travers le Concile de Vatican II de 1965 renforce les liens entre droite réactionnaire nationaliste et catholiques ultras. « Une convergence anti-communiste et anti-progressiste sur les valeurs s’instaure, doublée d’une impression qu’un monde s’effondre », note Jean-Yves Camus (2), directeur de l’observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean Jaurès. Pour la première fois, les débats débordent au-delà des cercles habituels. « Durant ces années, beaucoup de catholiques estiment que les réformes du concile vont trop loin, poursuit Jean-Yves Camus. Mais ils se sentent encore protégés par la droite du gouvernement. »

À sa création en 1972, le Front national ne prend pas encore en compte la dimension religieuse dans son corpus idéologique. « Le parti émerge dans des zones géographiques fortement déchristianisées comme le Nord-Pas-de-Calais et le Sud-Est », rappelle Joël Gombin. Il faut attendre la fin des années 70 pour que Jean-Marie Le Pen émaille son discours de références à Dieu. En 1984, le président du FN place aussi des catholiques nationalistes-traditionalistes dans l’équipe de ses cadres dirigeants. La figure de proue : Bernard Anthony, fondateur des comités Chrétien-solidarité et du journal Présent avec Jean Madiran.

Le but recherché de ces manœuvres ? Fédérer les différentes mouvances traditionalistes, dont les intégristes qui occupent l’église de Saint-Nicolas du Chardonnet en 1977. Mais pas seulement. « Le leader du FN prend la mesure des manifestations pour l’école libre et contre le projet de loi Savary de 1984. Il estime qu’une brèche peut s’ouvrir chez les électeurs de droite classique », analyse Jean-Yves Camus. La convocation des valeurs chrétiennes porte ses fruits : aux élections européennes de 1989, 13 % des catholiques pratiquants ont glissé un bulletin en faveur du FN, contre 7 % de la population. « A noter qu’à cette période, les messalisants votent davantage en faveur du FN que les catholiques non-pratiquants. Puis la donne s’inverse. En 1997, la part de pratiquants passe à 7 %, contre plus de 11 % des Français », fait remarquer Jean-Yves Camus. Faut-il y voir l’effet des condamnations par les évêques de France du FN ? Depuis 1984, ces derniers, en tête Mgr Decourtray et Jean-Marie Lustiger, attaquent le parti de Jean-Marie Le Pen, en condamnant fermement son racisme et son nationalisme.

La montée en puissance de Marine Le Pen au début des années 2000 rebat les cartes. Les catholiques nationalistes, Bernard Antony en tête, quittent le navire frontiste. Ils ne se reconnaissent pas dans les appels de la fille Le Pen aux valeurs républicaines et à la défense de la laïcité, inscrits dans sa stratégie de dédiabolisation. L’historien Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, met en garde contre ce hold-up idéologique opéré par Marine Le Pen : «  La laïcité invoquée n’est plus une règle politico-juridique mais une caractéristique de l’identité française menacée par l’islam. » Si Marine Le Pen vise les électeurs attachés à leur culture chrétienne, vécue comme un élément constitutif de leur identité française, sa nièce Marion-Maréchal Le Pen renoue avec une affirmation catholique doctrinale, mais sans verser dans le traditionalisme échevelé. « Elle n’a pas le côté ayatollah cassoulet de Bernard Antony, fait remarquer Jean-Yves Camus. Elle n’est pas dans la volonté d’abolir la loi de 1905. » Ses créneaux de prédilection : la famille, la bioéthique et les valeurs. Autant de thématiques qui préoccupent aussi l’Église. À la fois habile et en phase avec son époque, elle adopte de plus un discours moderne et sans trop d’outrance. « Ce qui la rend acceptable pour une partie de l’Église », observe Philippe Portier.

> Dates

1926 : mise à l’index par Pie XI des écrits de Charles Maurras
1939 : réhabilitation des membres de l’Action française par Pie XII
1940 : cardinal Gerlier : « Pétain, c’est la France et la France aujourd’hui, c’est Pétain »
1985 : Mgr Decourtray : « Quand je lis des propos qui manifestent de toute évidence le rejet des étrangers, (…) quand je lis qu’il y a des êtres inférieurs, je dois dire tout simplement au nom de l’Evangile, je ne suis pas d’accord. »
1998 : Mgr Louis-Marie Billé, président de la conférence des évêques : « Il y a dans la doctrine du FN des élément contraires au respect de la dignité de l’homme. »
2015 : Marion Maréchal Le Pen invitée par Mgr Rey à l’université d’été du diocèse du Var

 

La Vie

 

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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