L’union hautement médiatisée, mi-octobre, d’un acteur juif israélien et d’une journaliste musulmane arabe israélienne a suscité des réactions virulentes dans le pays.Ce mariage réactive la peur récurrente de voir se dissoudre l’identité juive.
Arié Dery, ministre de l’intérieur, a dénoncé « l’assimilation qui consume le peuple juif » tandis qu’Oren Hazan, membre du parti Likoud, exclu de la Knesset pour avoir tenu des propos misogynes et racistes, accusait le marié de s’être « islamisé » en épousant une musulmane. Depuis le 10 octobre et le mariage de Tsahi Alevi, un acteur juif israélien, avec Lucy Aharish, une journaliste musulmane arabe israélienne, la planète politique est en émoi. Si certains ont félicité le couple, d’autres, à droite de l’échiquier politique pour la plupart, ont dénoncé un mariage mixte synonyme de dissolution de la judéité dès lors qu’elle serait en contact avec une autre religion, relançant un débat récurrent dans le pays
« En août, j’ai été invité au mariage d’un ami à Jaffa. Il est musulman et sa femme, née juive, s’est récemment convertie à l’islam. Je me souviens qu’à l’extérieur de la salle de mariage, un groupe de juifs extrémistes criait que ce mariage était une perte de ’dignité’ pour le ’peuple juif.’ » Étudiant en cinéma, Saud Kassas fait partie des 20 % de Palestiniens naturalisés Israéliens que compte aujourd’hui la société israélienne. Il se souvient avec précision de ce jour où les membres de Lehava, groupuscule d’extrême droite dirigé par Bentzi Gosptein, un rabbin déjà plusieurs fois arrêté pour des faits de violence contre des Arabes, a tenté de perturber la cérémonie. Pour ce jeune musulman non pratiquant, ces réactions extrêmes témoignent d’un réel refus des mariages mixtes par une partie de la population israélienne, doublée d’un fond de racisme envers les Palestiniens. « Au sein de la religion musulmane aussi, les mariages mixtes ne sont pas accueillis avec beaucoup d’enthousiasme. Mais ils ne provoquent pas de tels débordements de haine », souligne Saud Kassas.
En Israël, seules les unions religieuses sont célébrées. Pour les couples mixtes, les options sont alors réduites : une majorité d’entre eux se marient à l’étranger puis reviennent faire reconnaître leur union auprès du ministère de l’intérieur tandis que d’autres choisissent le mariage de droit commun. Sans être l’égal du mariage, celui-ci implique que les partenaires, peu importe leur sexe ou leur religion, vivent sous le même toit et qu’ils partagent des responsabilités financières.
Première femme rabbin ordonnée au sein du « Judaïsme humaniste », Sivan Maas défend un judaïsme pluriel et tolérant, où la liberté individuelle est la première des valeurs. Condamnant sévèrement les paroles violentes répandues après le mariage des deux célébrités, elle est convaincue que le mariage mixte n’a rien d’une perte de la judéité. « Le judaïsme a toujours été pluriel, et il l’est toujours. Contrairement à d’autres, je ne pense pas que mes enfants seront moins juifs s’ils fréquentent des non juifs. »
Débat autour de l’assimilation
Au sein de l’Agence juive, Yigal Palmor dénonce les réactions les plus virulentes suscitées après le 10 octobre, mais considère le mariage mixte « comme la perte d’un membre ». Directeur des affaires publiques et des communications au sein de l’organisation créée pour faire le lien entre Israël et les juifs de l’étranger, il considère que ce débat sur « l’assimilation ou non » a « plusieurs facteurs ». « Le racisme anti-arabes, tout d’abord, est le fait d’une minorité, mais il existe bel et bien. La religion et l’impossibilité de se marier en dehors du cercle religieux en Israël jouent aussi un rôle très important, tout comme l’Histoire. Les juifs ont toujours été une minorité persécutée, ce qui peut expliquer ce sentiment très fort encore aujourd’hui d’une ’perte de la communauté’ lors de mariages mixtes. »
Dans son petit appartement en bordure de Mea Sharim, un des quartiers ultra-orthodoxes de Jérusalem, Rav Henri Kahn écrit depuis plusieurs décennies pour le magazine Kountrass, une revue en français destinée aux Haredim. Défenseur d’une « orthodoxie pure et ouverte », ce Strasbourgeois, arrivé en Israël en 1969, témoigne d’un certain « retour à la religion » en Israël, voire d’une « tendance à la radicalisation » chez certains, une idée que partage Idan Yaron, sociologue et anthropologue à Jérusalem. Selon lui, cette tendance a favorisé la libération de la parole chez certains hommes politiques comme Oren Hazan ou Arié Dery. « Avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement très à droite, certaines expressions jusque-là politiquement incorrectes sont désormais acceptées voire bienvenues. »
La Croix