A la direction de l’Université de Cergy-Pontoise (UCP), on a bel et bien déraillé au nom de « la vigilance ». Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’UCP, a dénoncé publiquement un email envoyé à tous les personnels de l’université, lundi 14 octobre, les invitant à remonter les « signaux faibles » de la radicalisation. « J’ai honte », a-t-il écrit sur son compte Twitter en reprenant quelques critères qui devraient « alerter » selon le mail reçu.
« Bonjour, il existe deux types de menaces d’attaques terroristes : la menace exogène liée à des individus extérieurs à la structure (type Bataclan) ; et la menace endogène où c’est un ou plusieurs individus appartenant à la structure qui commettent les attentats (type Préfecture de police) », lit-on dans le mail en question provenant du « référent radicalisation » qui dirige également la direction de l’Hygiène, de la Sécurité et de l’Environnement de l’établissement universitaire.
Souhaitant attirer l’attention des enseignants et des personnels de l’université sur la « menace endogène », l’auteur du mail a fourni en pièce jointe un tableau à remplir pour signaler les comportements suspects d’un « étudiant ou collègue ».
Le tableau comporte trois volets qui complète l’identité d’une personne suspectée. Les « signaux de rupture » incluent la rupture familiale, sociale et scolaire/professionnelle, dont l’« absentéisme récurrent aux heures de prière et le vendredi ». Les « phénomènes d’isolement » et de « remise en cause » figurent également dans cette première catégorie.
La fiche appelle aussi à relever les « signaux d’appartenance », à l’instar du « changement de tenue vestimentaire », comme le « port d’une djellaba » ou d’un « pantalon dont les jambes s’arrentent à mi-molets », le « port de la barbe sans moustache », l’« arrêt de consommation de boissons alcoolisées » ou de « nourriture à base de porc », le changement des comportements avec les femmes et l’« intérêt soudain pour l’actualité nationale et internationale » ainsi que pour « la religion ».
Le troisième volet concerne les « signaux inquiétants liés au comportement d’une personne connue », incluant les « phénomènes d’acculturation » dont la « fréquentation d’individus radicalisés » et de l’« apprentissage intense de nouvelles pratiques « religieuses » » ; et la « légitimation de la violence ou d’une idéologie ».
Mieux encore dans la bêtise, la case « dissimulation des signaux faibles » peut aussi être cochée. Une véritable fichage de la honte d’autant qu’il cible uniquement les personnes de confession musulmane sur la base de « signes » ne disant absolument rien de l’état de l’individu.
Les excuses de l’université, la réaction de sa ministre de tutelle
A peine dévoilé au grand public, le tollé est immediat. Le président de l’UCP, François Germinet, a estimé qu’il s’agissait d’une « maladresse » de la part de l’auteur, qui a pris seul cette initiative. « Je ne l’accable pas. Il a cru bien faire, car beaucoup de personnels viennent le voir pour lui demander quoi faire s’ils sont témoins de tels comportements », a expliqué François Germinet, avant de s’excuser « publiquement auprès des personnes qui ont été blessées ».
Par ailleurs, le président de l’UCP a rédigé un rectificatif dès qu’il a eu connaissance de l’email. « Nous souhaitons lever toute ambiguïté quant à son objet. La démarche de l’établissement consistait à apporter une assistance aux personnes qui peuvent être touchées par ces phénomènes et, en aucun cas, organiser un système d’alerte », plaide l’université.
Elle dit regretter « d’avoir pu heurter ou choquer certaines personnes au sein de l’université et à l’extérieur par une formulation inappropriée et source d’incompréhension » avant de présenter « ses excuses ».
L’UCP a rappelé qu’elle « a toujours été une université de la diversité, porteuse de valeurs de tolérance et d’ouverture ». Son président a d’ailleurs ajouté que, « quand un débat national s’ouvre sur le voile à l’université, (il est) le premier à monter au créneau pour demander de (les) laisser tranquilles ».
« Je désapprouve la « fiche de remontée de signaux faibles », justement retirée par l’@UniversiteCergy. Si la lutte contre la radicalisation appelle la vigilance de chacun, ce combat ne sera jamais gagnant s’il s’appuie sur des préjugés et des caricatures », a réagi la ministre de l’Enseignement supérieure, Frédérique Vidal.
Cette affaire intervient plusieurs jours après le discours du président de la République appelant la société à la « vigilance » mais aussi des propos de son ministre de l’intérieur, Christophe Castaner sur les « signes de radicalisation » à relever.