L’Irak pleurait ses morts ce samedi, au lendemain d’une des attaques à la voiture piégée les plus sanglantes des derniers mois, un attentat-suicide en plein marché qui a tué au moins 90 personnes et fait plus d’une centaine de blessés. Cet attentat mené vendredi à Khan Bani Saad à l’aide d’une voiture piégée et revendiqué par l’organisation État islamique (EI) est l’un des plus meurtriers depuis que le groupe extrémiste sunnite a conquis de vastes territoires en Irak il y a un an. Il intervient au moment où le pays célèbre l’Aïd, qui marque la fin du mois de jeûne du ramadan.
Enfants brûlés
Les habitants de cette ville majoritairement chiite située à 20 kilomètres au nord de Bagdad racontaient des scènes d’horreur au lendemain de l’attaque, qui a notamment coûté la vie à 15 enfants. « Il y avait des gens qui brûlaient dans leur voiture parce qu’aucune ambulance ou voiture de pompiers ne parvenait à les atteindre », raconte Muthanna Saadoun, un employé de la voirie municipale. Ce conducteur de camion-balayeur âgé de 25 ans a utilisé son véhicule pour éteindre des incendies déclenchés par l’explosion, qui a frappé en plein cœur d’un marché très animé.
L’explosion a causé d’énormes dégâts et creusé dans la rue un cratère de cinq mètres de large et deux mètres de profondeur – en revendiquant l’attaque, l’EI a affirmé que la voiture contenait trois tonnes d’explosifs. Plusieurs heures après, des morceaux de viande calcinés pendaient toujours sur un étal dévasté par les flammes, un jouet pour enfant reposait au milieu de la route alors qu’un bulldozer de l’armée déblayait les décombres autour desquels certains immeubles se consumaient toujours. « Ce que nous avons vu hier ne peut pas être décrit. Des flammes, des corps, des blessées, des femmes et des enfants en train de crier… » raconte Salem Abou Moqtada, un vendeur de légumes du marché, généralement bondé avant les fêtes.
Les musulmans sunnites ont commencé à célébrer l’Aïd el-Fitr vendredi, mais la communauté chiite, majoritaire en Irak, le fait samedi.
Pas d’Aïd
« Le bilan atteint à présent 90 morts et 120 blessés, et nous avons entre 17 et 20 disparus », a déclaré Abbas Hadi Saleh, le principal responsable de la localité de Khan Bani Saad. « Chaque année [pendant le ramadan], il y a une attaque à la bombe. On nous reproche d’être chiite », a déploré M. Saleh, « Celle-ci est la pire dans la province de Diyala depuis 2003. » Khan Bani Saad se trouve dans cette province que le gouvernement a déclarée en janvier « libérée » des djihadistes, qui en avaient conquis de larges pans lors de leur offensive fulgurante lancée en juin 2014.
Les djihadistes n’y ont plus de positions fixes, mais ils y commettent toujours des attentats. « Il n’y aura pas d’Aïd. Personne n’échange de vœux pour la fête », soupire Hussein Yassin Khidayyer, un commerçant de 45 ans, qui a réchappé à l’explosion. Les services du gouverneur de Diyala ont annoncé un deuil de trois jours dans la province et l’annulation des festivités du Fitr. Des voitures quittaient la ville, un cercueil sur le toit, pour inhumer certaines victimes dans la ville sainte chiite de Najaf.
Revendication de l’EI
L’EI a indiqué avoir pris pour cibles des milices chiites, une affirmation récurrente, même quand les attentats tuent en large majorité des civils. Selon des témoins et des responsables de la ville, la voiture a explosé à un point de contrôle à l’entrée du marché. Le Premier ministre Haider al-Abadi a condamné « ce crime méprisable » des djihadistes de l’EI, assurant être « déterminé à les traquer […] dans tous les coins d’Irak, jusqu’au dernier ».
Cette attaque est intervenue alors que le plus haut gradé américain, le général Martin Dempsey, a rendu visite rapidement à ses troupes en Irak samedi. Des milliers de conseillers militaires ont été déployés à travers l’Irak pour aider le pays à chasser les djihadistes, les États-Unis ayant aussi pris la tête d’une coalition internationale qui bombarde les positions de l’EI, notamment dans la province d’Al-Anbar (ouest). Les forces gouvernementales irakiennes y sont actuellement engagées dans une offensive contre les djihadistes resserrant l’étau autour des deux principales villes de cette immense province majoritairement sunnite, Ramadi et Fallouja.
Le Point