Depuis plusieurs mois, une partie de la presse israélienne, des collectifs d’artistes et des instituts académiques multiplient les critiques à l’encontre des décisions du ministère de l’Education. Des mesures qu’ils considèrent comme autant d’atteintes à la démocratie en Israël.
Nommé ministre de l’Education en mai dernier, après les élections législatives de mars 2015, Naftali Bennett, leader du parti sioniste religieux Foyer Juif (HaBayit HaYehudi, en hébreu), a engagé plusieurs projets de réforme pour adapter le système éducatif à ses fins nationalistes. En octobre 2015, par exemple, un guide à l’enseignement de l’éducation civique est distribué aux professeurs pour qu’ils transmettent les valeurs de « l’Etat-nation juif » à leurs élèves. « Plus de religieux, moins de démocratie », dénonce le quotidien de gauche « Haaretz ».
« La disparition progressive de la démocratie à l’école n’est pas nouvelle », admet une journaliste du webmagazine militant « +972 ». « Mais Israël entre dans une ère nouvelle soumise à un gouvernement droitiste et religieux. »
Judaïsme contre démocratie
Même si les partisans du Foyer Juif représentent une faible part de la population en Israël, leur leader compte en dispenser très largement les valeurs, selon un principe sectoriel qui régit la vie politique ici : « Une fois au gouvernement, le parti impose ses vues à l’ensemble de la société », résume Raphael Zagury-Orly, philosophe israélien et professeur à l’Ecole des Beaux-Arts Bezalel.
Aussi, l’espace politique actuel serait régi par cet « ordre sioniste religieux » peu soucieux de « préserver l’exigence du politique » ou de « servir la démocratie » dans ce qu’elle a de « consensuel », dit-il. Au contraire, en opérant une « synthèse entre le sionisme moderne, l’Etat-nation et la religion », le sionisme religieux qu’incarne Naftali Bennett « s’approprie l’espace politique » et oppose désormais le judaïsme à la démocratie.
Depuis, sa mainmise sur l’éducation se poursuit insidieusement. En décembre dernier, le roman de Dorit Rabinyan, « Borderlife », est retiré des sections littéraires du lycée parce qu’il raconte une histoire d’amour entre une Israélienne et un Palestinien. Un « encouragement aux unions entre juifs et non-juifs » qui menacent « le maintien de l’identité juive », selon le ministère de l’Education.
Un monde académique « impuissant »
Présenté le 18 février, le nouveau « panier culturel » – un programme listant les œuvres étudiées au collège – sera contrôlé par un comité qui identifiera toute œuvre à contenu « pornographique, violent, raciste, soutenant le terrorisme ou menaçant les fondements de l’Etat d’Israël ». En outre, les représentations sélectionnées dans le cadre du panier ne seront validées que si les directeurs de théâtres et leurs acteurs acceptent de se représenter partout – y compris dans les colonies de Cisjordanie.
« La logique politique et morale des territoires a conquis Israël à l’intérieur de la ligne verte (de 1967) », analyse la sociologue israélienne Eva Illouz. Malgré tout, la mobilisation du corps éducatif est trop sporadique pour avoir un impact réel sur la société civile. « Le monde académique est très impuissant », déplore encore Eva Illouz. « D’autres affaires scandaleuses ont eu lieu dans des écoles primaires ou secondaires, sans que personne ne réagisse. »
Mais la difficulté d’un passage à l’action résiderait aussi dans le contexte d’un Proche-Orient « à feu et à sang ». Face à « la menace extérieure », il est d’autant plus « difficile de mobiliser un discours ouvert et démocratique », rappelle Raphael Zagury-Orly. « Dans cette région, le projet sioniste démocratique était voué à l’échec », observe pour sa part Eva Illouz. « Pas seulement à cause de ses défauts internes mais à cause des facteurs externes. »
La Libre.be