De gauche à droite, le président Israélien Shimon Peres, le patriarche orthodoxe Bartholoméos Ier, le pape François, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, après la prière commune, au Vatican, le 8 juin 2014.
Un épisode survenu lors de la prière pour la paix organisée par le pape François dans les jardins du Vatican, le 8 juin, en présence des présidents israélien Shimon Pérès et palestinien Mahmoud Abbas, a suscité l’émoi de certains chrétiens.
Au cours de la séquence confiée à la délégation musulmane, qui faisait suite à la prière des deux autres traditions religieuses, juive et chrétienne, un imam a ajouté au texte officiel en arabe les trois derniers versets de la deuxième sourate du Coran, dite de la « Vache » : « Pardonne-nous (Allah), pardonne-nous et prends pitié de nous ! Tu es notre maître et notre protecteur. Soutiens-nous contre le peuple des kafir ! »
Un terme, qui peut se traduire par « infidèles » et qui est utilisé par les courants radicaux de l’islam pour justifier des attaques contre les non-musulmans. Ainsi, ce texte a été perçu par certains comme hostile aux deux autres religions. Ils en ont conclu à la « tricherie » et à l’« abus de confiance », et un discours souvent entendu selon lequel les chrétiens sont trop naïfs à l’égard des musulmans a resurgi sur plusieurs blogs. « Le monde musulman a jubilé à cause de la récitation du Coran « au Vatican »… Le danger augmente à cause de l’ignorance de chrétiens sur l’islam », a ainsi réagi le P. Peter Madros, prêtre du Patriarcat latin de Jérusalem, dans un billet qui a circulé sur certains forums.
« Je ne vois aucune raison de soulever cette polémique insignifiante »
Cette interprétation n’est pourtant pas la plus répandue. Dans une interview donnée à la section allemande de Radio Vatican, le P. Felix Körner, jésuite, professeur de dogmatique et de théologie des religions à l’Université pontificale grégorienne, spécialiste de l’islam rappelle que « incroyant désigne, dans ce cas, les gens qui ne reconnaissent pas le Dieu unique. Donc quand ce verset coranique parle des incroyants contre lesquels on demande l’aide divine, ce ne sont donc clairement pas les juifs ni les chrétiens qui sont visés, puisqu’ils reconnaissent l’unité de Dieu ! »
Le jésuite allemand fait aussi remarquer que le rabbin de son côté avait récité le psaume 25, bien connu des chrétiens, qui prie Dieu de ne pas laisser « triompher son ennemi », et qui aurait tout aussi bien pu être perçu comme « un discours équivoque », « si on écoute avec une oreille biaisée ».
Interrogé par La Croix, l’anthropologue des religions et philosophe algérien Malek Chebel confirme : « Personnellement, je traduis kafir par « incroyant ». C’est absolument conforme au Coran et cela ne vise personne en particulier. À la rigueur, si l’on veut se livrer à une interprétation contextualisée, cela vise les païens de l’Arabie ancienne, donc ni les juifs ni les chrétiens. Je ne vois donc aucune raison de soulever cette polémique insignifiante. Après le Coran, le musulman lance une invitation à la paix, très générale et ouverte. »
Quant à savoir si l’imam avait ou non à sortir de son texte, le P. Rafiq Khoury, prêtre de l’équipe animatrice du séminaire patriarcal de Beit Jala en Cisjordanie, fait remarquer que « les musulmans ont l’habitude de réciter cette prière en toutes circonstances, dès l’enfance, de la même manière que nous récitons le Notre Père… Cela n’a rien d’hostile contre les chrétiens. C’est blessant et pénible que l’on ressasse toujours des propos négatifs à l’égard des musulmans. »
« Ceux qui s’arrêtent à cela n’ont simplement pas compris le message du pape François, voire ne veulent pas le comprendre », déplore de son côté une observatrice du dossier. « Au lieu de chercher à voir si l’autre est sorti des clous ou non, est-on prêt à le regarder comme un frère ? Prend-on vraiment au sérieux le Christ qui nous a dit de nous aimer les uns les autres, et même d’aimer nos ennemis ? »
La Croix