Dans un contexte global de moindre écoute des revendications religieuses en Europe, la Cour européenne des droits de l’homme doit faire l’arbitre avec les libertés individuelles.
Jusqu’où peut aller la liberté religieuse ? Cette complexe question a mobilisé juristes, membres d’ONG et étudiants de 70 pays, pendant trois semaines, à Strasbourg (Bas-Rhin), lors de la session annuelle qui s’est tenue jusqu’au 26 juillet. L’Institut international des droits de l’homme (IIDH), créé il y a quarante-quatre ans par le prix Nobel de la paix René Cassin, ne s’était pas trompé. Avec ce thème, sa traditionnelle formation estivale a été convoitée par un nombre record de 800 candidats du monde entier, pour 270 places effectives.
« Ces problèmes connaissent une acuité croissante. Les législations sont de plus en plus répressives, et il y a dans les consciences collectives l’idée que les religions deviennent de plus en plus un sujet d’affaires politiques », justifie Jean-Paul Costa, président de l’IIDH. Ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, il sait combien l’articulation avec les autres droits de l’homme n’a rien d’évident.
La question du voile intégral
Pour exemple, cette juridiction examinera en novembre la requête d’une jeune musulmane protestant contre l’interdiction en France de porter la burqa dans un espace public. « Pour les uns, le voile intégral est attentatoire à la dignité, l’égalité homme-femme et l’ordre public. Selon ses défenseurs, c’est une façon de pratiquer sa religion. La cour devra arbitrer entre ces différentes libertés. C’est délicat », commente Jean-Paul Costa.
« Le système français est protecteur du pluralisme. Les pratiquants doivent de leur côté faire attention à ne pas choquer », défend Julien Martin, avocat à Épinal. Mais les participants venant d’Afrique, par exemple, expriment une vision très nuancée, exprimant à la fois le souhait d’une influence moindre de la religion dans la société mais se montrant critique sur la laïcité à la française.
Maimouna Dembélé, étudiante malienne, militante féministe ainsi qu’à Amnesty International, se bat quotidiennement contre les croyances attribuées à l’islam sur l’excision ou la peine de mort. Pour autant, elle ne comprend pas le problème occidental du voile. « Il n’est pas synonyme de soumission », assure-t-elle. Selon elle, un seul principe universel devrait guider les politiques, dans son pays comme en Europe : « Consacrons les libertés individuelles, et la société sera plus harmonieuse », tranche-t-elle, estimant que ce principe doit toujours être supérieur à celui des droits des religions.
Le témoignage de Lyes Sam, avocat et enseignant en Algérie, est encore différent : « Dans mon pays, l’étatisme prime tout et nous manquons parfois de liberté d’expression, mais en Europe, vous avez été trop loin. Il est normal que certaines personnes n’aient pas envie de tout entendre sur leur religion. »
Dépassionner le débat
Pour Jean-Paul Costa, l’objectif de cette session était justement de « dépassionner le débat » et d’« ouvrir l’esprit des participants », avec cette conviction : « La religion et les droits de l’homme devraient se confondre, car toutes les religions sont fondées sur la supériorité du bien sur le mal. » Les cours délivrés par des spécialistes du monde entier ont pourtant montré combien il est difficile de faire appliquer le principe universel des droits de l’homme. « La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, par exemple, n’a pas encore véritablement d’activité forte, et la CEDH ne peut pas traiter de persécutions dans des pays extra-européens », pointe-t-il.
Une protection indirecte se met cependant parfois en place. « Il y a un mois la CEDH, saisie par un copte égyptien clandestin en France, a interdit son expulsion en raison du risque de persécution dans son pays. Il y a deux ans, elle a aussi interdit l’expulsion d’une personne dont la fille risquait d’être excisée dans son pays », indique Jean-Paul Costa.
La Cour européenne des droits de l’homme défend là plus les libertés individuelles que la liberté de religion et de conscience, conformément aux législations nationales, et aussi aux attentes de la société. « Il y a vingt ans, un film avait été interdit en Autriche car il était considéré comme blasphématoire vis-à-vis de la religion chrétienne. Aujourd’hui, je suis sûr que la CEDH défendrait la liberté de l’expression artistique. Le climat a changé. La liberté religieuse est aujourd’hui davantage considérée comme une question personnelle, dès lors qu’est assurée la liberté de manifester son culte », explique-t-il.
Un institut indépendant, mais en lien étroit avec la CEDH
L’Institut international des droits de l’homme, avec ses sept permanents à Strasbourg, étudie et enseigne les droits de l’homme à Strasbourg et à l’étranger (cet automne et cet hiver en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Haïti). Il accorde des bourses pour la participation à sa session estivale de formation.
Cette association indépendante fut fondée en 1969 par René Cassin, avec l’argent de son prix Nobel de la paix, obtenu en 1968. Ce juriste fut, vingt ans plus tôt, l’un des principaux rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme en tant que vice-président (puis président) de la commission des droits de l’homme des Nations unies de 1946 à 1957. Il fut aussi président de la Cour européenne des droits de l’homme de 1965 à 1968. Celle-ci, qui doit être distinguée de la Cour de justice de l’Union européenne, à Luxembourg, siège aussi à Strasbourg.
Tout ressortissant des 47 États membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme peut y formuler une requête contre un État, afin d’y faire respecter ce texte.
Source : La Croix