Laïcité, ces cantines scolaires où il fait bon manger

En dépit de certaines polémiques, la très grande majorité des écoles, publiques mais aussi privées, s’adaptent pour que tous les enfants puissent bien manger, quelle que soit leur religion.

 

L’heure de la cantine à l’école Notre-Dame de l’Espérance, à Ivry-sur-Sein...      Alors que deux élèves sur trois vont à la cantine, le défenseur des droits Jacques Toubon soutient une proposition de loi qui vise à créer un droit à la restauration scolaire.

Un lieu d’éveil aux goûts, un temps de partage, une pause conviviale… La cantine est devenue ces dernières années un sujet majeur, aussi bien en termes de santé publique, d’éducation que d’économie ou d’écologie. Et comme si ces enjeux n’étaient pas assez compliqués, un débat s’est invité dans les assiettes : la laïcité.

Le 2 novembre, au lendemain des vacances de la Toussaint, les écoliers de Chilly-Mazarin (Essonne) n’auront plus droit qu’à un menu unique. Terminée, quand il y a du porc, la possibilité de choisir un autre plat.

Suppression des menus de substitution

Le maire (Les Républicains – LR) Jean-Paul Beneytou, élu en 2014, explique aux parents ne plus vouloir « différencier la composition des repas en fonction d’un interdit religieux qui relève de la sphère privée et familiale ». 

L’opposition accuse la municipalité de priver d’un repas complet environ 400 écoliers, alors même que la cuisine commune aux deux autres villes voisines propose, pour un coût identique, des plats de substitution.

À Châlon-sur-Saone (Saône-et-Loire), le conseil municipal a validé le 29 septembre dernier la décision du nouveau maire Gilles Platret (LR) de mettre fin aux menus de substitution, là encore au nom de la laïcité. Saisi par une association musulmane, le tribunal administratif de Dijon examinera l’affaire le 19 octobre.

La plupart des mairies proposent des menus sans porc

Cette offensive menée sous la bannière républicaine a le don d’agacer une grande majorité d’élus qui, toutes étiquettes politiques confondues, assurent que le respect des prescriptions alimentaires se gère habituellement avec tranquillité.

Dans les 99 écoles du Havre (Seine-Maritime), environ 8 000 enfants mangent quotidiennement à la cantine. Leurs parents sont invités en début d’année à dire s’ils mangent du porc ou non, comme ils signalent une contre-indication allergique ou un régime particulier.

« Je vois bien la portée symbolique et politique de l’argument de la laïcité, commente le maire de la cité portuaire, Édouard Philippe (LR). Mais pour beaucoup d’enfants de ma ville, le repas de midi est le plus complet et le plus diversifié de la journée. C’est pourquoi je tiens à proposer un plat de substitution le jour où l’on sert du porc. En refusant de le faire, on risque d’en exclure certains. »

Dépasser la question religieuse

Cette philosophie est partagée par l’immense majorité des élus. En juin, l’Association des petites villes de France (APVF) publiait un document sur la laïcité signalant, au sujet de la restauration, que « la majorité des communes propose une alternative à un plat dès que sa consommation est prohibée par des pratiques confessionnelles ».

Président de l’APVF et maire d’Annonay (Ardèche), le socialiste Olivier Dussopt explique avoir mis en place depuis quatre ans l’offre menu « classique » ou « sans viande ». « Cette alternative permet simplement de dépasser la question religieuse », estime-t-il.

Dans les écoles catholiques qui accueillent un public très diversifié, beaucoup d’établissements ont aussi su s’organiser. Ainsi, à Notre-Dame-de-l’Espérance, à Ivry (Val-de-Marne), les parents dont les enfants ne mangent pas de porc le signalent lors de l’inscription.

Un menu « sans viande » systématique à Lyon

« Sur 200 enfants présents à la cantine, une vingtaine sont concernés, explique la directrice, Marie-Pierre Labatte. Comme école catholique, nous avons la liberté de proposer un éveil religieux. Mais nous avons aussi le devoir d’accueillir chacun, dans le respect de la diversité. » Concrètement, quand, en novembre, un morceau de palette s’affichera au menu, les enfants musulmans ou juifs se verront servir une pièce de rôti de dinde par les dames de service.

Ce qui est facile à organiser pour une petite structure l’est aussi à l’échelle d’une grande agglomération. En 2008, la ville de Lyon a engagé une consultation avec les parents d’élèves et les cultes. Le choix a été fait de proposer systématiquement aux 125 restaurants scolaires le choix entre un menu principal ou un menu sans viande.

Résultat : la fréquentation des cantines des écoles a bondi de 35 % en cinq ans, avec près de 24 000 enfants servis en moyenne. « C’est devenu un sujet non polémique » assure Anne Brugnera, adjointe en charge de l’éducation.

Une loi pour un « droit d’accès à la cantine »

Faut-il aller plus loin en instaurant un menu végétarien, comme le propose Yves Jégo? Nos interlocuteurs sont mitigés. « Sur le fond, je n’ai rien contre, explique Olivier Dussopt. Mais quand nous avions offert cette possibilité, très peu de familles l’ont choisie, on a arrêté. Il faut être pragmatique. »

Pour beaucoup d’élus, la priorité n’est d’ailleurs pas le menu végétarien. « La demande sociale concerne surtout le bio, explique Anne Brugnera. Nous essayons de développer cette offre, de privilégier les circuits courts, ce qui est loin d’être simple compte tenu des quantités que nous avons à gérer. »

En mars, l’assemblée a adopté la proposition de loi du député radical Roger-Gérard Schwartzenberg (PRG) visant à  « instaurer un droit d’accès à la cantine scolaire au bénéfice de l’ensemble des élèves ». Car pour beaucoup de responsables politiques, la question de la laïcité crée un écran de fumée devant le vrai problème : celui de l’exclusion sociale qui touche certaines familles.

Des municipalités, mettant en avant des contraintes matérielles, réservent la restauration aux enfants dont les deux parents travaillent ou imposent des strictes conditions de participation financière.

Pour des cantines ouvertes à tous

Le défenseur des droits Dominique Baudis avait, en 2013, dénoncé dans un rapport certaines situations discriminatoires et réclamé un droit universel d’accès aux cantines. Aujourd’hui, son successeur Jacques Toubon défend la même position, alors que plusieurs municipalités Front National durcissent les conditions d’accès à la restauration scolaire.

« La cantine doit être ouverte à tous, c’est un enjeu éducatif, de santé publique, affirme Jacques Toubon.  Il faut que le texte de Roger-Gérard Schwartzenberg soit inscrit à l’ordre du jour au Sénat le plus vite possible. » Le défenseur des droits rappelle qu’une première proposition de loi avait reçu, en 2012, la signature d’un certain François Hollande.

 

La Croix

 

F. Achouri

Sociologue.

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