Le conseil économique, social et environnemental (Cese)« rejette toute interprétation du principe de laïcité qui tendrait à restreindre une liberté fondamentale ». Dans un projet d’avis sur « le fait religieux dans l’entreprise », dont la version définitive sera présentée le 12 novembre, la troisième chambre de la République ne se montre pas favorable à une intervention du législateur pour limiter les revendications ou pratiques dans le monde professionnel.
« La laïcité est un principe d’organisation de l’État », rappellent les auteurs du rapport, Édith Arnoult-Brill et Gabrielle Simon, qui proposent « des réponses managériales diversifiées en vue de permettre à l’entreprise de gérer la diversité religieuse (…) ».
Augmentation des revendications religieuses sur le lieu de travail
Les auditions de chercheurs et de responsables de ressources humaines menées par le Cese révèlent pourtant une augmentation des revendications religieuses sur le lieu de travail. Certes, ce n’est pas un « raz de marée » qui serait « à même d’entraver à grande échelle l’activité des entreprises » mais « une question émergente ».
Si les sujets des fêtes religieuses, des interdits alimentaires ou de la pratique du jeûne ne semblent pas poser de grandes difficultés, d’autres sont plus sensibles. C’est le cas du port des signes religieux et, surtout, du prosélytisme ou de certains comportements de salariés comme le rejet de la mixité.
« Méconnaissance » des règles applicables
Face à cette situation, le Cese s’inquiète d’une « méconnaissance » des règles applicables qui poussent les entreprises à adopter soit une posture de « refus systématique » des demandes soit, à l’inverse, une attitude de « grande complaisance ». Pourtant, le droit en ce domaine est, certes, « complexe » mais d’une « grande cohérence ».
L’article L.1121 du code du travail permet ainsi à une direction d’encadrer une tenue ou une pratique religieuse à condition qu’une telle restriction soit « justifiée par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnée au but recherché », tandis que la jurisprudence sur des demandes comme celle des fêtes chômées est bien fixée.
Parmi ses propositions, le Cese recommande que « les règles de droits applicables (loi et jurisprudence) soient rappelées par la voie d’une circulaire ». Il propose la diffusion officielle d’un calendrier des fêtes religieuses auprès des chefs d’entreprise pour leur permettre de mieux anticiper les demandes d’absence. Il insiste encore sur la formation des managers et des représentants des salariés ou la diffusion des bonnes pratiques.
Le cas de la petite enfance
Le rapport revient aussi sur la question de l’interdiction de signes religieux dans les structures qui œuvrent dans le domaine de la petite enfance. En mars dernier, la Cour de cassation avait annulé le licenciement d’une puéricultrice voilée de la crèche Baby-Loup au motif que, même si l’association remplit une mission d’intérêt général, elle ne peut imposer à ses salariés un devoir général de neutralité propre aux fonctionnaires.
Cet arrêt avait incité l’UMP à déposer une proposition de loi pour permettre aux entreprises d’inscrire un principe de neutralité dans leur règlement intérieur et le président François Hollande avait décidé de confier une mission de réflexion à l’Observatoire de la laïcité.
Solutions juridiques à l’étude
Le Cese a étudié plusieurs solutions juridiques. La première consisterait à étendre le principe de laïcité aux structures privées des secteurs social, médico-social ou de la petite enfance. La seconde consisterait à leur accorder le statut « d’entreprises de tendance » qui leur permettrait de revendiquer une orientation agnostique ou athée.
Mais le Cese estime que l’une et l’autre de ces solutions rencontrent « de sérieux obstacles de principe ». Il propose que, « sans recourir à la loi, les branches traitant de la situation des publics vulnérables soient invitées à s’impliquer (…) dans la rédaction de guides pratiques, à l’instar de ceux existant dans certaines entreprises… ».
L’avis du Cese sera ainsi le troisième, en quelques semaines, à mettre en garde le législateur. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait estimé, le 26 septembre, que le corpus juridique était complexe, éclaté mais suffisant. « Il est sage de ne pas demander à la loi ce qu’elle ne peut produire », affirmait-elle. La recommandation de l’Observatoire de la laïcité, le 15 octobre, allait dans le même sens.
Source : La Croix