Le CFCM révoque l’aumônier national des hôpitaux pour le culte musulman, une décision contestée

« Je suis toujours aumônier national des hôpitaux » pour le culte musulman. C’est sur un ton très affirmatif qu’Abdelhaq Nabaoui conteste la décision du CFCM de le relever de sa fonction à laquelle il a été nommé en 2006. Une décision vécue de manière brutale pour celui qui est également président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) Alsace, déclarant qu’elle a été prise sans « entretien préalable » avec le bureau exécutif. « Je n’ai jamais été convoqué par le CFCM », indique Abdelhaq Nabaoui, qui affirme que cette décision est arrivée à ses oreilles « le 7 janvier » par le biais d’aumôniers ayant été informés – non sans surprise – de la décision par Abdallah Zekri lors de vœux interreligieux à Nîmes.

Dans un courrier du CFCM en date du 25 octobre 2018 – mais réceptionnée par le ministère de la Santé uniquement le 26 décembre – dont Saphirnews a pris connaissance, l’instance fait part de sa décision de relever Abdelhaq Nabaoui de son poste en faisant valoir une « orientation du conseil d’administration du CFCM interdisant le cumul des postes ».

« Nous avions demandé à M. Nabaoui de renoncer à son poste d’aumônier militaire pour se consacrer pleinement à l’aumônerie de la Santé. Constatant que rien n’a été fait, le bureau du CFCM a par conséquent décidé de le remplacer par un nouvel aumônier (…) dont le nom vous sera communiqué très prochainement », lit-on. Avant d’ajouter : « L’aumônerie musulmane de la Santé a besoin d’être mieux structurée afin de répondre aux attentes des malades ainsi que des administrations hospitalières. Ce qui implique un investissement total de la part de l’aumônier national et des aumôniers régionaux. »

Une décision considérée « comme nulle et non avenue »

Le cumul des mandats, un argument qui, aux yeux d’Abdelhaq Nabaoui, est « réfutable » dans la mesure où son poste d’aumônier national est un travail « entièrement bénévole »tandis que celui d’aumônier militaire est salarié. « Rien ne l’interdit. On ne peut pas demander à quelqu’un de laisser tomber son travail pour en faire un autre bénévolement. C’est irresponsable », répond-t-il.

Il se défend également en rappelant avoir accepté, non sans mal, de se plier à une décision du conseil d’administration du CFCM en 2017 interdisant que « l’aumônier national ne peut pas assurer une fonction d’aumônier régional dans son aumônerie ou pour une autre aumônerie musulmane », selon une note de cadrage aussi consultée par Saphirnews. Aumônier militaire régional pendant neuf ans, il a démissionné de ce poste en avril 2018.

Par ailleurs, « la décision a été prise par le bureau exécutif du CFCM. Or, les statuts du CFCM prévoient que la nomination et la révocation d’un aumônier national fassent l’objet d’un vote du CA. A ce jour, et prenant en compte le dernier CA qui a eu lieu en date du 3 février, aucun vote du CA n’a validé cette proposition du bureau exécutif, rendant celle-ci sans force exécutoire », indique Abdelhaq Nabaoui dans une lettre de contestation adressée à la présidence du CFCM mercredi 6 février.

Récusant la validité des motifs exposés pour justifier la révocation, il déclare considérer la décision « comme nulle et non avenue ». « En cas de refus de votre part, je me réserve le droit de saisir les instances juridiques compétentes pour donner à cette affaire les suites habituelles de droit en la matière », avertit-il.

 

Une implication dans l’AMIF qui dérange

Pour Abdelhaq Nabaoui qui dénonce une mesure « injuste » et « illégale », au moins deux raisons – non officielles – expliquent en partie sa révocation. « Certaines fédérations veulent récupérer l’aumônerie parce que Musulmans de France (ex-UOIF, ndlr) n’est plus dans le CFCM », avance-t-il. L’homme avait en effet été nommé en 2006 sur proposition de MF, aujourd’hui retiré du CFCM depuis 2013.

Mais c’est surtout son adhésion publique au projet de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF) que le CFCM n’arrive pas à digérer, nous signifie le président du CRCM Alsace. « Je ne vois pas d’incompatibilité entre les deux projets », martèle Abdelhaq Nabaoui, soulignant « la complémentarité » des deux offres. « On se doit de travailler ensemble, main dans la main, car les défis sont énormes. »

Du fait du conflit actuel, songe-t-il à quitter le CFCM ? Pas à ce stade, dit-il : « Le CFCM est un acquis que je défends. Je défends le CFCM au sein de l’AMIF, et l’AMIF au sein du CFCM. » Mais pas de doute que cette affaire laissera des traces indélébiles.

 

La colère gronde parmi les aumôniers

« Je ne suis pas éternel, cela ne me dérange pas qu’une autre personne prenne la relève mais il faut que les choses se fassent de façon digne », plaide Abdelhaq Nabaoui, qui a le soutien de nombreux aumôniers. Un courrier en faveur de son maintien à son poste et signée le 13 janvier par 16 aumôniers dont neuf régionaux a été adressée au CFCM dans lequel ils expriment leur « inquiétude des conséquences de (sa) décision qui déstabilisera le fonctionnement de l’aumônerie hospitalière à cette période où on entame la question épineuse de la réorganisation du culte musulman ».

Ensemble, ils et elles soulignent l’énorme investissement de leur aumônier national dans sa mission, qui s’est dernièrement matérialisé par l’ouverture en 2018 de l’Ecole nationale de l’aumônerie hospitalière (ENAH), et ce « en dépit de ses contraintes professionnelles, des difficultés rencontrées sur le terrain et l’absence des moyens financiers ».

 

Les aumôniers réfractaires menacés de sanctions

En réponse, le CFCM n’a pas manqué d’être cinglant. Refusant de revoir sa décision, il appelle les aumôniers régionaux à respecter la décision dont le ministère de la Santé a pris connaissance le 9 janvier. « Nous vous mettons en garde, car en cas de non-respect des directives du CFCM, vous vous exposerez à des sanctions allant jusqu’à la révocation de votre fonction. Certains d’entre vous ont cru, en signant une pétition, que le bureau du CFCM allait revenir sur sa décision. Que les meneurs qui sont d’ailleurs connus, cessent ce chantage; dans le cas contraire, nous informerons les préfets de vos départements de notre décision, afin de mettre fin à vos fonctions », lit-on d’une lettre adressée à ces cadres religieux.

Une décision « incompréhensible » de l’aveu de Fatima Djemai, aumônier référent à Châlons-en-Champagne depuis 2016. Elle se dit « atterrée » et « indignée » par le choix du CFCM dans la mesure où Abdelhaq Nabaoui « a initié un travail phénoménal » qui produit des résultats aujourd’hui. « Nous sommes derrière lui. On n’en restera pas là », indique-t-elle.

Fathia El Moumni, aumônier régional d’Occitanie depuis 2015, abonde en son sens. Pour elle, le CFCM « ne mesure pas les conséquences que cette décision peut avoir sur l’aumônerie hospitalière. C’est un bébé et, au lieu de renforcer ce bébé, cette décision risque de mettre en péril tout le travail accompli ».

Quant à la menace de sanctions qui plane au-dessus de la tête des aumôniers réfractaires, elle s’offusque de la tentative d’intimidation du CFCM : « Nous sommes dans un Etat, heureusement, démocratique où la liberté d’expression est un droit. Signer une pétition n’est rien d’autre démocratiquement l’usage de notre liberté d’expression. » Fathia El Moumni espère encore du CFCM un changement de position mais se dit prête, dans le cas contraire, à exercer son « droit de retrait » pour rebondir sur son activité professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Pour Mohammed Moussaoui, la décision du CFCM « risque de renforcer l’image » d’une instance qui, en voulant empêcher les initiatives comme l’AMIF d’émerger, « donne l’occasion à ses détracteurs de le taxer d’être devenue une chasse gardée et une tribune réservée aux responsables de certaines fédérations ». « De même sa véhémente réponse aux aumôniers régionaux qui s’inquiétaient, à juste titre, des conséquences de cette révocation laissera des traces sur l’engagement de ces acteurs bénévoles auprès des malades », estime le président de l’Union des mosquées de France (UMF), pour qui « le CFCM s’est manifestement trompé de combat » comme il le souligne dans une tribune parue samedi 2 février sur Saphirnews.

 

Le CFCM appelle au respect de son autorité

Le CFCM, par la voix de son président d’Ahmet Ogras, réitère auprès de Saphirnews son refus de revoir cette décision mais ne veut pas s’étaler davantage sur cette affaire « interne qui n’a pas lieu d’être rendue publique ».

Pour lui, « la page est tournée » et la révocation d’Abdelhaq Nabaoui en plein chantier de la réforme du CFCM, à tout juste quatre mois des élections, s’inscrit dans le cadre du « renouveau » de l’institution. « Nous n’avons rien de personnel contre lui, nous défendons les intérêts du CFCM. (…) Les fédérations sont là depuis bien plus longtemps que lui, elles ont aussi leur mot à dire. Chacun doit respecter l’autorité de l’un et de l’autre », indique-t-il.

« L’aumônerie est sous l’autorité du CFCM. On n’a pas besoin de prétexte pour changer un aumônier, ni besoin de se justifier. (…) S’il pense que notre décision est illégale, qu’il fasse appel à la loi », déclare encore Ahmet Ogras, qui affirme que la décision du CFCM a été prise bien avant que son implication dans l’AMIF ne soit rendue publique. « Nous le remercions pour le travail qu’il a fait. Il faut qu’il accompagne l’élan du renouveau dans le CFCM et reste au service de la communauté », ajoute-t-il.

En attendant la désignation d’un nouvel aumônier national, c’est le secrétariat du CFCM qui doit assurer l’intérim. Le CFCM a lancé, jeudi 7 février, un appel à candidature « aux postulants éventuels désireux d’améliorer les services destinés aux personnes souffrantes », une fonction qui « demande à la fois une connaissance des préceptes islamiques ainsi qu’une aptitude à manager une équipe d’aumôniers musulmans qui exercent dans les hôpitaux sur tout le territoire national ».

Saphirnews

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

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