« Pure folie. » C’est en ces termes que le chef du courant du Futur a parlé de l’engagement militaire du Hezbollah aux côtés de l’armée syrienne. Saad Hariri n’a pas manqué une seule occasion, par la suite, de demander au Hezbollah de rappeler ses combattants et de respecter la déclaration de « distanciation » de tout axe régional de Baabda, à laquelle le parti chiite avait souscrit, quelques mois avant de recevoir ses ordres de Téhéran.
Aujourd’hui, un responsable du courant du Futur fait assumer à Hassan Nasrallah une bonne part de responsabilité dans l’insurrection qui a livré Mossoul et sa province aux jihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). En effet, l’engagement du Hezbollah en Syrie a été, aux yeux de tous les groupes jihadistes, un modèle d’ingérence militaire transfrontalière et a contribué de façon significative à transformer la crise en Syrie d’un combat pour la démocratie en un conflit sunnito-chiite, le parti chiite invoquant, entre autres justifications pour son engagement, la protection des « lieux saints » chiites en Syrie, comme le sanctuaire de « sitt Zeinab ». Le secrétaire général du Hezbollah a eu beau par la suite affirmer que, ce faisant, il défendait « les arrières de la résistance » et empêchait les jihadistes du Front al-Nosra et de Daech de prendre pied au Liban, ses arguments n’ont pas convaincu. Et comment le pourraient-ils quand on connaît la structure du pouvoir à Damas et le vain espoir de ceux qui ont cru au printemps de Damas ; de ceux qui ont cru à un partage démocratique du pouvoir entre les communautés qui composent la société syrienne ? Comment le pourraient-ils quand on sait que le bras armé du Hezbollah reçoit directement ses ordres de Téhéran et qu’en sauvant la Syrie, le Hezbollah ne fait que sauver l’axe Damas-Téhéran ?
Même si, au départ, il a pu tromper les simples d’esprit, l’engagement militaire du Hezbollah en Syrie n’était en fait que l’un des épisodes de la guerre transfrontalière entre sunnites et chiites, dont les derniers développements en Irak sont un autre chapitre. On ne peut s’expliquer autrement que toute une population, avec ses ulémas et sa rue, ses anciens du Baas et ses officiers, s’insurge contre la politique discriminatoire que le gouvernement de Nouri el-Maliki, un chiite pro-iranien, exerçait à son encontre et accueille en libérateur un groupe inconnu aux pratiques barbares, pour la simple raison qu’il professe, comme elle, l’islam sunnite.
À sa politique conquérante et aventuriste, le Hezbollah s’apprête à ajouter un nouvel épisode en décidant d’envoyer des miliciens pour défendre les « lieux saints » chiites, en Irak cette fois. Une fois de plus, il faudra faire son deuil des mises en garde que le pouvoir et les forces politiques au Liban pourraient lancer au Hezbollah contre les risques d’un tel engagement s’il se concrétisait. On peut être sûr que tant que cet engagement sera à la gloire de Téhéran, le parti de Hassan Nasrallah passera outre ces avertissements.
Pour les observateurs, le danger pourrait provenir des deux millions de réfugiés syriens et palestiniens qui se trouvent sur le territoire libanais. Ces sources n’excluent pas qu’avec le temps et les sensibilités confessionnelles s’aiguisant, ce réservoir humain ne se transforme en bombe à retardement. La radicalisation partielle de cette masse humaine pourrait se faire sous l’effet de l’intransigeance dont ferait preuve le gouvernement de M. Maliki, et un éventuel refus de tout dialogue et de toute ouverture en direction de la composante sunnite du tissu social irakien.
C’est dans la conscience diffuse de la grande frayeur ressentie à la prise de Mossoul et à l’avancée de « barbares » jihadistes, malgré le côté insurrectionnel du phénomène, que les maronites du Liban multiplient les mises en garde contre une persistance de la vacance présidentielle. Des conseils discrets du Vatican parviennent même à Bkerké sur ce sujet. Garder l’initiative est le mot-clé de ces mises en garde, dans la crainte que les chrétiens du Liban ne soient dépassés par les événements et que le Liban ne change de visage. À cette fin, le patriarche maronite s’apprête à convoquer à nouveau les chétives instances de sa communauté (Ligue maronite, Fondation maronite, Conseil central maronite) aussitôt que le saint-synode annuel de l’Église maronite se terminera cette semaine.
Ce même souci a poussé les milieux politiques proches du courant du Futur et du Parti socialiste progressiste à préciser que la rencontre, vendredi, entre Saad Hariri et Walid Joumblatt ne prétend à rien d’autre qu’à faire le point de la situation et ne cherche en rien à imposer un quelconque présidentiable en lieu et place des maronites. La position de ces deux courants politiques n’a pas changé : ils appuieront invariablement le candidat sur lequel s’entendront les chrétiens, un candidat dont il semble de plus en plus certain qu’il n’appartiendra pas au « club des Quatre ».
L’ Orient Le Jour