Des « banques participatives », proposant des produits financiers « halal », c’est-à-dire conformes aux prescriptions de l’islam en matière financière, s’apprêtent à voir le jour au Maroc.
Ce secteur attire les capitaux des pays du Golfe.
Promesse de campagne du PJD (islamistes modérés), la loi réglementant les activités de la finance islamique au Maroc a mis plus de deux ans à voir le jour, vraisemblablement en raison de craintes de déstabilisation du système conventionnel. Les banques « participatives » ont d’ailleurs été appelées ainsi, et non pas « islamiques », pour ne pas laisser entendre que les autres ne le sont pas…
Mais la frange la plus pieuse de la population semble demandeuse, et le développement du secteur devrait attirer des capitaux des pays du Golfe. « Des produits halal existaient déjà, mais la loi définit le périmètre de cette nouvelle activité, et prévoit la labellisation des établissements et produits compatibles avec la charia par le conseil supérieur des oulémas [NDLR : autorité religieuse] », explique Otman Zouhayr, directeur d’AlBanki, cabinet de formation et conseil en finance islamique.
La finance islamique interdit de prêter avec intérêts, de conclure des opérations laissant une place à l’incertitude, et de financer des industries « haram » – le contraire de « halal » – comme la production d’alcool. Elle propose une grande variété de produits bancaires, dont la « Mourabaha » : celle-ci permet au client d’acquérir un bien, un logement par exemple, sans contracter de prêt.
La Mourabaha, produit le plus répandu, controversée
La banque achète le bien au vendeur, puis le revend avec une marge à l’acheteur, qui le rembourse sous forme de mensualités. Les autres produits appartiennent à la sphère de la « finance participative » : ils sont fondés sur un partage des pertes et des profits. Ainsi, la « Moucharaka » prévoit que la banque finance un projet, puis partage avec son client les pertes et bénéfices associés.
Des banquiers reconnaissent à voix basse leur scepticisme vis-à-vis d’un système jugé compliqué à mettre en place, pour un résultat selon eux équivalent à celui des autres banques. La Mourabaha notamment, produit le plus répandu, est controversée car souvent présentée comme le « maquillage » d’un prêt classique.
Néanmoins, sa gestion est différente, en raison de l’impossibilité pour la banque de percevoir des indemnités de retard. « Si ces dernières sont exigées, elles devront être versées à des œuvres sociales », précise Otman Zouhayr. Les produits de la finance participative sont aujourd’hui plus chers que les autres. Mais suite à des avancées fiscales, la différence de prix devrait diminuer.
10 à 20 % du marché d’ici à 2020
Pour ses plus fervents promoteurs, le système répond à une exigence éthique forte, susceptible de contrecarrer les dérives de la finance conventionnelle : « L’économie islamique est davantage en prise avec l’économie réelle, estime Omar Kettani, économiste et président de l’Association marocaine d’études et recherches en économie islamique, puisque toute opération doit financer un bien tangible, et qu’il est interdit de revendre une dette. Ce qui implique moins de spéculation, et une économie plus stable. En principe, ces banques doivent aussi avoir une utilité sociale, en finançant des écoles, des bibliothèques… Mais la loi marocaine n’aborde hélas pas cette dimension. »
Selon l’agence Standard and Poors, la finance halal pourrait atteindre 10 à 20 % du marché d’ici à 2020. Cependant, l’incertitude demeure quant à son succès. 98 % des Marocains affirment qu’ils seraient intéressés. Mais 85 % ne savent pas si les produits de leurs banques sont déjà « charia compatibles ». « Quand on demande à quelqu’un si un produit islamique l’intéresse, il ne va pas dire non, commente Otman Zuhayr. Mais s’il apprend que c’est plus cher, il peut changer d’avis… Les clients du secteur sont soit très religieux, soit désireux de mettre un peu plus de religion dans leur vie.»
Les grandes banques, qui ont pour la plupart annoncé le lancement d’une filiale ad hoc, seules ou en partenariat avec des institutions du Golfe, ont jusqu’à mi-novembre pour déposer leurs demandes d’agrément. Alors que Bank al Maghrib, régulateur du système bancaire, a publié les premières circulaires d’application, les banques préparent le lancement de leurs structures pour 2016.
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L’université Dauphine exporte son master sur la finance islamique au Maroc
Depuis six ans, l’université Paris Dauphine dispense un master « Principes et pratiques de la finance islamique » pour former aux métiers de la banque, de l’assurance et des marchés des capitaux des professionnels qui travaillent dans ou avec les acteurs de la finance islamique soucieux de respecter les préceptes du droit musulman. L’objectif est de comprendre les concepts et techniques employés par la finance islamique et de permettre une articulation entre finance conventionnelle et finance islamique.
Profitant du nouveau cadre réglementaire marocain et du développement attendu de la finance islamique, l’université a annoncé le 7 octobre qu’elle créait un master à Casablanca au Maroc, en partenariat avec le cabinet d’audit et de conseil marocain Fidaroc Grant Thornton. La formation démarrera en février prochain. La première promo comptera 40 étudiants.
La Croix