Le pape François stimule les catholiques français

Alors que le pape a réuni, du 1er au 3 octobre 2013, le conseil des cardinaux chargé de l’éclairer sur la réforme de la Curie avant de se rendre à Assise vendredi 4 octobre, La Croix a interrogé les catholiques de France. La plupart d’entre eux perçoivent le pape comme un facteur d’unité.

 

Le nouveau pape ? Il a ouvert les fenêtres de l’Église. » Les mots qui viennent d’instinct aux lèvres de Gaëtane Morin, retraitée de la Vienne, pour qualifier les premiers mois du pape François à la tête de l’Église universelle, suffisent à mesurer l’enthousiasme suscité par le successeur de Benoît XVI parmi la majorité des catholiques de France. « C’est comme un printemps », développe, en filant la métaphore saisonnière, cette habituée de la paroisse de Châteauneuf, rencontrée après la messe dominicale dans ce quartier ouvrier de Châtellerault (Vienne). Ici comme ailleurs, le pape nourrit une fascination teintée de curiosité, notamment parmi les aînés. C’est le cas de Geneviève Gault, ancienne infirmière aujourd’hui bénévole paroissiale, sensible au « vent nouveau » qui accompagne les prémices de ce pontificat. Pour un peu, elle y retrouverait un peu du souffle de l’après Vatican II. Du « pape des pauvres », qu’elle perçoit « plus proche de nous que Benoît XVI », cette femme engagée dit attendre beaucoup, en particulier à l’égard des jeunes : « Dans notre Église vieillissante, illustre-t-elle de manière très concrète, nous avons du mal à trouver des personnes pour animer la catéchèse. » Comme en écho, cette confidence d’Amélie Desforges, recueillie sur ce même parvis : « Je suis frappée par sa bonté intérieure et sa profondeur », s’enthousiasme l’étudiante de 27 ans.

« Je crois toujours en l’Église. Par certains aspects, elle m’horrifie, mais c’est par elle que l’Évangile est arrivé à moi »

Cette « grande bouffée d’air frais », Georges Berthollier, de plus de soixante ans son aîné, ne l’attendait plus franchement. L’ancien prêtre, marié puis « réduit à l’état laïc » en 1973, vingt-cinq ans après son ordination, avait pris des distances avec l’Église, tout en restant actif dans sa paroisse de la banlieue lyonnaise, et dans le mouvement Chrétiens dans le monde rural (CMR). S’il concède se sentir plus à son aise « dans l’Église du pape François », l’octogénaire se refuse à l’opposer à son prédécesseur : « En théologien, Benoît XVI était attaché à la vérité, mais il lui manquait les qualités d’un pasteur. Le pape François annonce la vérité d’une façon très différente. » Georges attend désormais des actes. « Tant de déclarations dans l’Église ont été déviées au lieu d’être concrétisées. » L’ancien gardien d’immeuble ne fréquente plus la messe dominicale qu’en pointillés et concède se sentir en marge de l’institution. « Je crois toujours en l’Église. Par certains aspects, elle m’horrifie, mais c’est par elle que l’Évangile est arrivé à moi », confesse ce fils de l’Action catholique, qui dit puiser dans « la foi vécue » prônée par l’ancien archevêque de Buenos Aires une forme de réconfort.

« Ma fierté d’être catholique est plus forte qu’il y a six mois »

Beaucoup de ceux qui se sentaient, il y a quelques mois encore, isolés ou inaudibles du fait de leurs distances vis-à-vis de l’appareil romain, éprouvent une forme de reconnaissance à la faveur des premières interventions du pape François : « Ma fierté d’être catholique est plus forte qu’il y a six mois », assure Alexandre, catholique de 35 ans originaire du Nord de la France et actuellement sans emploi. Depuis l’apparition de la fumée blanche sur le toit de la chapelle Sixtine, ce « chrétien progressiste », « déçu de Benoît XVI », scrute les moindres faits et gestes du pape. « Celui-ci doit être proche des gens, vivre leur vie, professe-t-il. Ses paroles correspondent enfin à ce que je vis dans ma paroisse : une Église ouverte. »

Prochaine étape, aux yeux d’Alexandre : qu’il tende la main à ceux qui assurent le fonctionnement de l’Église en silence. « En tant que laïc, je ne me sens pas forcément écouté. Je ne sais pas où est ma place. » Seul bémol à ses yeux : la prise de position du pape au sujet du conflit syrien. « Je ne l’ai pas comprise. Mes parents sont portugais ; la dictature, nous avons connu. Et la paix profite souvent aux dictateurs. » D’autres, comme Amélie Desforges, l’étudiante de Châtellerault, s’interrogent sur l’opportunité d’un possible débat autour de l’ordination d’hommes mariés.

En dépit de ces rares nuances, la plupart des catholiques de France perçoivent le pape François comme un facteur d’unité, à plus forte raison après la période de turbulences qu’a fait naître l’opposition à la loi Taubira parmi les chrétiens. Jeune catholique de la Vienne, Matthieu Floucaud dit avoir été « choqué » par l’univocité du discours de l’Église sur le mariage homosexuel. Il veut croire en « l’intelligence » du pape François pour « réconcilier » les communautés moins unanimes qu’il n’y paraît.

« Je ne suis pas certaine que le pape François bouleverse la doctrine catholique. Mais il aère ce qui pouvait paraître étriqué »

L’exigence du pape, lorsqu’il s’adresse à tous, devrait trouver un écho parmi la jeunesse chrétienne en quête d’absolu. Engagé aux Guides et Scouts d’Europe, Maxime Houdry, 21 ans, ne manque aucune recommandation de « Pontifex », nom du pape sur le réseau social Twitter : « Il se présente au milieu du peuple, comme l’était le Christ. » Ses paroles simples et fortes résonnent en lui avec force, comme celles qui fustigent la mondanité spirituelle : « Parmi mes amis, beaucoup se proclament cathos tout en se complaisant dans leur salon, dépeint Maxime. Certains divisent le monde entre eux et les ‘gauchos’. » Ce futur ingénieur issu d’un foyer modeste réfute ces clivages qu’il juge erronés. « Ce pape bouscule tout le monde. Il nous donne une grande tape dans le dos pour nous encourager à aller plus loin dans notre foi. »

Parmi ceux qui se sentaient proches de la voie exigeante tracée par Benoît XVI, à l’image de Sophie Lessirard, mère de quatre enfants dans les Yvelines, la continuité entre les deux papes ne souffre aucune discussion : « à mes yeux, le pape François replace l’essentiel au cœur de l’Église. Je ne suis pas certaine qu’il bouleverse la doctrine catholique. Mais il aère ce qui pouvait paraître étriqué », développe Sophie, sans s’étendre sur la discrétion du nouveau pape en matière de liturgie ou de morale.

Cette volonté de ne pas ressasser une doctrine déjà connue, le P. Xavier Seclier, 34 ans, investi dans les quartiers populaires de la Courneuve (Seine-Saint-Denis), la considère comme un préalable nécessaire pour que l’Église soit plus audible : « Sur les questions de morale sexuelle, il ne faut pas tourner à l’obsession. Nous devons descendre dans la vie des gens avec des chaussons. Inutile d’en rajouter face aux grandes blessures humaines. Sans rien brader de notre foi, le pape nous demande d’annoncer l’amour, non des interdits. »

« Le pape François me fait penser à Don Camillo. Il sert des objectifs temporels sous couvert de poursuivre des buts spirituels »

L’un de ses jeunes confrères, qui préfère taire son nom, redoute toutefois qu’à ne pas vouloir « faire le pape », François ne finisse par déstabiliser les catholiques. Les réserves les plus explicites se font jour parmi les franges proches des milieux traditionalistes, où l’élection de Benoît XVI, en 2005, avait été perçue comme un gage de reconquête. Vincent, 49 ans, n’a pas de mots assez durs : « Le pape François me fait penser à Don Camillo. Il sert des objectifs temporels sous couvert de poursuivre des buts spirituels. » Cet ingénieur parisien lui reproche sa méconnaissance de l’Europe, sa « démagogie » et ses « ambitions politiques ». Plus que tout, il dit avoir été effaré par l’entretien accordé aux revues jésuites le mois dernier. « En parlant de “Vetus ordo”, de “vieille messe”, il nous a directement attaqués. Les “tradis” ne sont pas le vestige d’un ordre archaïque qu’il faudra gérer. Nous sommes l’un des éléments moteurs de l’Église », défend-il.

Ce paroissien de Notre-Dame-du-Lys, chapelle parisienne où est célébrée la messe selon la forme extraordinaire, fustige aussi une forme de populisme. « Le pape ne peut pas plaire autant. Ce n’est pas possible. » Au fond, Vincent craint de voir l’Église rattrapée par « les années 1970 ». « Nous avons connu une pastorale héritée de Vatican II, symbolisée par la stratégie de l’enfouissement, qui a totalement échoué. » Lui qui ne s’est « jamais senti très à l’aise » dans l’Église, sans aller jusqu’à franchir la porte de la Fraternité Saint-Pie-X, n’exclut plus la possibilité de marquer une distance en rejoignant les lefebvristes, au moins provisoirement.

« L’Église n’est plus tout à fait ce qu’elle était »

Hors de la sphère traditionaliste, les voix discordantes demeurent anecdotiques. Certains expriment des inquiétudes, tout en estimant qu’il faut laisser du temps au pape. À Châteauneuf, par exemple, Christian, jeune retraité, redoute que l’Église ne se dénature au nom de l’ouverture, citant l’exemple du Brésil « où les églises ressemblent parfois à des boîtes de nuit ». À ses côtés, Ginette Villeret a d’abord été séduite mais ses positions « iconoclastes » ont fini par désarçonner cette femme de 80 ans : « Le fait qu’il ne veuille pas insister sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives m’étonne. L’Église n’est plus tout à fait ce qu’elle était », dit-elle.

A contrario, beaucoup, comme Michèle Jaffuel, coordinatrice de la paroisse de Gannat, dans l’Allier, font valoir l’espoir d’une évolution du statut des divorcés remariés : « “Enfin, on en parle !”, m’a confié avec émotion l’un d’eux, rapporte cette femme de 65 ans. Pourvu que le pape nous aide à mieux les accueillir. » « Je sens que c’est un roc sur lequel je peux m’appuyer, assure Maxime Houdry. Il possède les réponses aux questions de notre temps. Il est comme un vaccin inoculé pour ne pas tomber dans un catholicisme tiède. »

 

Source : La Croix

F. Achouri

Sociologue.

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