Le pape François, un patron qui consulte large

Consultant beaucoup, il s’est entouré d’un conseil de huit cardinaux. Il lance de longs processus, comme les synodes sur la famille, mais au final, décide seul. Les cardinaux se sont retrouvés dans la salle du Synode, le 20 février dernier, pour réfléchir su...

« Chaque fois qu’il nous reçoit, j’ai l’impression de me trouver devant un dirigeant du CAC 40. » Ce laïc qui a travaillé pour le pape François à la réforme de la gestion du Vatican emploie une image partagée – et redoutée – au Vatican, celle d’un pape patron. À l’heure des audits menés par de grands cabinets externes, du gel des embauches, du pointage horaire par endroits, des renvois de prêtres dans leur diocèse et de nominations parfois très longues avant d’être confirmées, la Curie romaine découvre un pape qui gouverne directement.

« De loin, il est franciscain mais quand vous vous approchez, vous voyez le général jésuite », observe une employée de Radio Vatican, redoutant des coupes prochaines dans la station. D’autres témoignent d’un climat social difficile tandis que des chefs de dicastères (équivalent de ministères dans la Curie) s’épuisent à faire valoir l’utilité de leur administration de crainte que celle-ci ne disparaisse dans le jeu de fusions et rapprochements à venir parmi les divers Conseils pontificaux.

La réforme de la Curie a bel et bien commencé et le nouveau pape se montre déterminé à mener à bien ce travail, délaissé par Jean-Paul II et Benoît XVI. « Il a reçu à ce sujet l’équivalent d’un mandat de la part des congrégations générales », estime une observatrice proche du Vatican, en référence aux débats du préconclave. « C’est un pontificat non pas de magistère mais de gouvernement », résume une autre source.

Le pape a institutionnalisé une forme de consultation permanente

La détermination unanimement reconnue du pape François n’exclut pas toutefois sa patience pour avancer sans rupture, autre trait de sa méthode de gouvernement. Une méthode de proximité, d’écoute, de discernement et d’habileté de celui qui se définit, dans son entretien aux revues jésuites, paru en juillet, « un po furbo » (un peu malin). Et qui admet aujourd’hui, contrairement à ses années comme jeuneprovincial en Argentine, « que la consultation est essentielle ».

La première année du pontificat a ainsi été marquée par la mise en place de deux commissions référentes d’experts pour la réorganisation financière et administrative du Saint-Siège. Deux consistoires ont, par ailleurs, été convoqués pour consulter l’ensemble des cardinaux sur des points précis. Six mois après son élection, le pape a aussi réuni tous les chefs de dicastères et ses collaborateurs pour « écouter les considérations et les conseils ».

Surtout, le pape a institutionnalisé une forme de consultation permanente, s’entourant dès le début de son pontificat d’un conseil de huit cardinaux pour l’aider à réfléchir aux réformes. Ce « C8 », ainsi qu’il est désormais surnommé, s’est réuni, depuis, à trois reprises à Rome. Ses autres sessions sont fixées, fin avril puis début juillet, rythmant ainsi le travail en cours et entretenant un climat médiatisé d’attente de réformes.

« François cherche à valoriser toute l’Église »

Ce « C8 » exprime également une forme de collégialité avec l’évêque de Rome, associant l’Église universelle à la réforme de la Curie ; la périphérie avec le centre, selon la terminologie chère au pape François, qui a choisi ses conseillers-­cardinaux dans les cinq continents. De même, la composition du tout nouveau Conseil pour l’économie, créé pour surveiller l’ensemble de la gestion du Vatican, reflète un souci d’universalité et de détachement de son emprise italienne.

« François cherche à valoriser toute l’Église », résume le P. Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite Civiltà Cattolica, faisant allusion aux mentions – jusqu’alors inhabituelles dans un document romain – des travaux de conférences épiscopales nationales dans l’exhor­tation apostolique du pape : « Pour lui, on passe un temps à Rome, pas nécessairement toute sa vie ; il doit y avoir des allers-retours avec les Églises locales. »

Cette conception circulaire plutôt que verticale de la gestion des carrières ecclésiastiques devrait se traduire, par exemple, par la nomination de chefs de dicastères à de hautes responsabilités diocésaines dans leur pays d’origine.

« Chemin de patience »

Place, en revanche, aux laïcs. « Des laïcs hommes et femmes ! » insiste un des cardinaux du C8. Valoriser toute l’Église signifie pour le pape argentin et son entourage d’impliquer les laïcs dans la prise de décision. Une présence désormais établie dans le nouveau Conseil pour l’économie. De plus, des cardinaux proches du pape ont récemment donné de la voix pour la nomination d’une femme – ou d’un couple marié – à la tête d’un dicastère, à l’image du cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga, membre du « C8 ».

Au-delà de Rome, l’ancien archevêque de Buenos Aires, qui affectionne la « théologie du peuple », cherche aussi à responsabiliser les laïcs dans les Églises locales, rejetant le « cléricalisme ». Le questionnaire diffusé en amont d’un prochain Synode sur la famille porte la marque d’une volonté de consultation large, inédite dans le gouvernement romain.

Ce futur Synode, suivi d’un autre fin 2015 sur le sujet, est une autre illustration du « chemin de patience », selon l’expression du pape François, que celui-ci est prêt à emprunter pour gouverner. À l’espace de pouvoir, il oppose l’engagement de longs processus.

Un choix définitif, que le pape jésuite prend seul

Avec la prière, comme première conseillère de ce pape religieux. Son secrétaire personnel, Mgr Alfred Xuereb, a expliqué sur Radio Vatican comment la prière guide le pape « pour choisir ceux qu’il appelle à être ses collaborateurs proches ».

« Il consulte tout le monde et prie. Sa décision n’est pas l’affirmation de son idée », résume un journaliste italien, ami de Jorge Bergoglio. Mais il y a bien au final une décision, quelle que soit l’étendue de son cheminement.

Un choix définitif, que le pape jésuite prend seul. Comme l’analyse Giovanni Maria Vian, directeur de l’Osservatore Romano, « par le Conseil des cardinaux et la réforme de la Curie, François est, en fait, en train de renforcer la papauté ».

 

La Croix

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

Articles recommandés