Les associations professionnelles dénoncent la campagne de haine dont le film de Joseph Paris fait l’objet sur les réseaux sociaux. Des attaques venues de la fachosphère, qui cible de plus en plus systématiquement le cinéma, et ses subventions.
La fachosphère s’est trouvé une nouvelle tête de turc. À croire qu’elle a du temps devant elle. Après Quelques Jours pas plus, de Julie Navarro, qui abordait le sujet des jeunes migrants, et Avant que les flammes ne s’éteignent, de Mehdi Fikri, sur les violences policières, c’est au tour d’un documentaire de subir ses foudres ineptes en ligne. Le Repli, de Joseph Paris, retrace la montée de l’islamophobie en France et la construction d’un discours identitaire obnubilé par la sécurité. Sujet politiquement brûlant certes, mais diffusion relativement confidentielle. Sorti le 30 octobre 2024, ce film de niche n’a été distribué que sur vingt copies : on est loin d’un instrument de persuasion massive.
Et pourtant, le distributeur du Repli, Hervé Millet (Destiny Films), fait état d’« un déferlement de haine sur les réseaux sociaux, X, Facebook, des commentaires racistes venant en majorité de gens qui n’ont même pas vu le film. » « À croire que les fachos n’avaient que ça à se mettre sous la dent »,ironise le réalisateur Joseph Paris, qui ne minimise pas pour autant les effets de ce genre de campagne. « Je suis très blessé que l’on puisse m’accuser, par exemple, de complaisance envers les assassins de Samuel Paty. Mon film se tient du début à la fin du côté des victimes du terrorisme islamiste ! »
Une “guerre culturelle”
Tout commence lors d’une avant-première du film le 12 octobre à Limoges, où des militants de gauche locaux identifient des membres du groupe Action française venus, à pied et en voiture, rendre une petite « visite de courtoisie » à l’équipe du Repli. « Je les ai vus passer à plusieurs reprises devant mon hôtel puis devant le cinéma », témoigne Joseph Paris. L’incident s’arrête là. Mais dix-neuf jours plus tard, une autre projection, organisée par le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et par Attac, à Metz, va servir de point de départ au déchaînement de la fachosphère sur les réseaux sociaux, notamment sur la page Facebook du film et de son distributeur, Destiny Films.
Lors du débat post-projection, un échange houleux sur la question de la laïcité à l’école a lieu entre le protagoniste du film, Yasser Louati, militant, ex-porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF, dissous par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en 2020), et un professeur d’histoire-géographie présent dans la salle. « Quelques jours plus tard, raconte la productrice, Audrey Ferrarese (Drôle de Trame), l’enseignant membre de l’association des professeurs d’histoire-géographie de Lorraine publiait en ligne un communiqué attaquant le film. » Après avoir listé ses griefs contre Le Repli, le communiqué concluait ainsi : « Il est déroutant, deux semaines après l’hommage à Samuel Paty, de découvrir un documentaire déjà primé et financé par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) amalgamer autant de sujets de société sensibles pour en tirer une narration à la limite du complotisme, où les quelques arguments factuels sont orientés dans un sens délibérément trompeur et malhonnête. »
À partir de là, la situation dégénère, selon la productrice. « Le communiqué s’est retrouvé sur le site extrémiste Fdesouche avant d’être repris et monté en épingle par une certaine presse. » Le 8 novembre, Laurence de Charette signe dans Le Figaro un article tout en nuances où Le Repli, dont elle précise qu’il a bénéficié du soutien du CNC et de l’Union européenne, est qualifié de « film de propagande frériste ». Le 11 novembre, Marianne publie à son tour un article sobrement titré « le doc qui ulcère les profs ».
Entre-temps, un député RN de l’Aisne, Eddy Casterman, a posté sur son compte X une vidéo dénonçant la projection du Repli prévue le 27 novembre à l’Assemblée nationale. Organisée à l’initiative du député LFI Thomas Portes, cette séance, d’ores et déjà complète, est une projection « sur invitation » uniquement. D’après le site d’extrême droite Boulevard Voltaire, Eddy Casterman aurait écrit une lettre, cosignée par ses collègues députés Anne Sicard et Thibaut Monnier, pour demander à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, « de condamner la diffusion de ce film documentaire et de bien vouloir faire toute la lumière sur les circonstances qui ont rendu possible sa projection dans la salle de cinéma de l’Assemblée nationale ».
« Les attaques venant de la presse et de ce député RN ne doivent pas rester sans réponse.« , selon le réalisateur Joseph Paris.
Tandis que la productrice Audrey Ferrarese parle de « guerre culturelle », le réalisateur Joseph Paris tente de faire la part des choses. « L’assaut en ligne, c’est une chose. Mais les attaques venant de la presse et de ce député RN ne doivent pas rester sans réponse. Ces gens-là voudraient que le cinéma soit aux ordres d’une idéologie d’État, ce qui serait une atteinte grave à la liberté de création. Quant à l’appel à censurer un film dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, j’ose espérer que la présidente de la Chambre ne va pas laisser passer ça. »
Grand classique de l’extrême droite, les aides perçues par les films attaqués sont également systématiquement pointées du doigt comme étant « de l’argent public ». Dans le communiqué de soutien au Repli et à son équipe que les associations professionnelles du cinéma (SDI, SPI, SRF) ont publié hier, distributeurs, producteurs et réalisateurs rappellent notamment « que les fonds du CNC ne sont abondés par aucun crédit budgétaire de l’État et proviennent uniquement et dans leur intégralité d’une taxe prélevée sur les billets d’entrée et sur les diffuseurs (télévisions et médias en ligne essentiellement). Il s’agit d’un système vertueux de redistribution, envié dans le monde entier et qui ne provient donc pas de l’impôt ».
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