Au travail, la femme qui porte le voile rappelle par son apparence qu’il y a Dieu et l’islam. L’image qu’elle renvoie est parfois précédée de nombreuses projections, dues bien souvent à l’ignorance mais aussi à la peur, savamment entretenue par les médias de masse : sera-t-elle accueillante ? Voudra-t-elle serrer la main à un homme ? Sera-t-elle opposée à toute mixité ? Ne nuira-t-elle pas, par son apparence, à l’image de l’entreprise ? Ne fera-t-elle par fuir les clients ?…
Dans un tel contexte, il est très difficile pour les femmes voilées de s’affranchir de ces préjugés très ancrés dans la société française et de trouver sa place sur le marché du travail. Certains détracteurs arguent que le voile serait contraire à la modernité et parlent de régression sociale tandis que d’autres pointent du doigt le communautarisme grandissant auquel elles contribueraient en refusant de travailler sans voile.
Ce sentiment de culpabilité amène de nombreuses femmes, faute d’être acceptées, à renoncer à toute carrière professionnelle, même chez les plus ambitieuses d’entre elles. Elles abandonnent en effet toute velléité professionnelle car elles ont le sentiment d’être mutilées dans leur identité en devant faire passer leur foi après leur travail. Dès lors, à défaut de possibilités, elles se tournent vers des secteurs comme les entreprises de tendance notamment où le voile est admis, mais aussi acceptent des postes souvent peu qualifiés et mal rémunérés, ignorant souvent qu’elles ont la possibilité de travailler voilées dans l’entreprise. Pour d’autres, souvent qualifiées, c’est l’exil forcé vers des horizons où leur identité religieuse ne sera pas un frein à leur carrière. Nous disons « forcé » car nombre d’entre elles nées en France, sont lassées d’une telle situation et souhaitent pourtant rester dans leur pays, si leur avenir professionnel n’était pas aussi sombre.
En droit du travail, le dispositif législatif encadrant le port de signes religieux est clairement défini et marque une nette différence selon que l’on évolue dans le domaine public ou privé. Dans le secteur public, tout port de signes ostentatoires est interdit, conformément à la loi sur la laïcité de 1905. Mais dans le secteur privé, où l’employabilité est la plus importante, la liberté religieuse du salarié, fondamentale, est autorisée dans l’enceinte de l’entreprise. Pourquoi de nombreux problèmes subsistent malgré ces balises juridiques ? Quelles sont les causes de telles situations figées ?
Ajoutez à cela, un islam qui a une capacité assimilatrice puissante car, plus qu’une religion, c’est un mode de vie qui guide le croyant dans tous les domaines profanes. Aujourd’hui, de plus en plus de salariés musulmans se questionnent sur la place qu’ils accordent à la religion dans l’entreprise -sur la question du voile mais aussi de la prière- des croyants souvent influencés par des imams qui les incitent à affirmer leur foi, arguant notamment qu’il faut privilégier l’Au-delà à la vie ici-bas. Dans une France que les musulmans considèrent de plus en plus coercitive dans le champ religieux, ils sont nombreux à opérer un changement parfois radical dans leur vie professionnelle, cela passe notamment par une reconversion, de l’auto-entreprenariat ou un départ vers l’étranger quand ce ne sont pas des errances. Des conséquences inattendues, non désirées voire déraisonnables qui peuvent renforcer un communautarisme déjà ancré et tant décrié, mais aussi opérer chez certains musulmans un durcissement dans leur rapport au monde social. Car, la ségrégation sociale et les échecs professionnels répétés, peuvent altérer les comportements individuels et être des facteurs de radicalisme religieux ; nous avons malheureusement tendance à occulter cette composante importante dans les parcours d’évolution professionnelle de chacun.