OÙ EN EST LE DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN ?
Promulguée il y a cinquante ans, le 28 octobre 1965, la déclaration conciliaire Nostra aetate, en recommandant « la connaissance et l’estime mutuelles » entre juifs et chrétiens, mettait fin à des siècles de ce que l’historien Jules Isaac avait appelé « l’enseignement du mépris ». Passée dès lors à « l’enseignement de l’estime », l’Église catholique s’engage désormais pour que « les chrétiens cherchent à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse » juive, selon le vœu de la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme émis en 1974.
Parlant aujourd’hui de « reconnaissance mutuelle », les responsables du dialogue judéo-chrétien en soulignent les grandes étapes : rejet de la théologie de la substitution (1) quand Jean-Paul II, en 1980 à la synagogue de Mayence, soulignait que l’Alliance avec le peuple juif « n’a jamais été dénoncée par Dieu », visite du pape polonais à la synagogue de Rome en 1986, puis celle de son successeur Benoît XVI en 2010. Lors de la première, Jean-Paul II parlera des juifs comme nos « frères aînés », tandis que son successeur saluera « nos pères dans la foi ».
Sous le pontificat de Jean-Paul II, le pape allemand avait d’ailleurs joué un rôle décisif en faisant publier par la Commission biblique pontificale, en 2001, l’important document Le peuple juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne, qui souligne notamment combien les Écritures sacrées du peuple juif sont une « partie fondamentale de la Bible chrétienne ». Comme le relevait, début décembre, la Commission pour les relations avec le judaïsme dans une longue réflexion sur les relations judéo-chrétiennes, cinquante ans après Nostra aetate, « la foi des juifs attestée dans la Bible, que l’on trouve dans l’Ancien Testament, n’est pas pour les chrétiens une autre religion, mais le fondement de leur propre foi ».
Ainsi, en un demi-siècle, « indifférence et opposition se sont muées en collaboration et bienveillance ; d’ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères », pouvait rappeler le pape François lors de l’audience générale interreligieuse qu’il tenait le 28 octobre dernier pour l’anniversaire de Nostra aetate, un texte qui disait clairement « oui à la redécouverte des racines juives du christianisme et non à toute forme d’antisémitisme ».
► COMMENT RÉAGISSENT LES JUIFS ?
Hormis quelques responsables étroitement impliqués dans le dialogue judéo-chrétien, les juifs sont longtemps restés méfiants vis-à-vis des ouvertures de l’Église catholique. Les déclarations de repentance des évêques de France, en 1997 à Drancy, puis du Saint-Siège lui-même, l’année suivante, pour le rôle de l’Église dans l’antisémitisme et la Shoah, puis le geste historique de Jean-Paul II au Mur occidental, en 2000 à Jérusalem, jouèrent à cet égard un rôle capital.
« L’Église a accompli un tournant décisif, à portée théologique », rappelait, en novembre dernier, une déclaration signée par les principaux responsables du judaïsme français, reconnaissant l’évolution de l’Église. « Désormais, pour elle, le peuple juif n’est plus tenu pour le responsable de la mort de Jésus ; la foi chrétienne n’annule ni ne remplace l’Alliance contractée entre Dieu et le Peuple d’Israël ; l’antijudaïsme, qui a souvent fait le lit de l’antisémitisme, et qui a jadis pu nourrir l’enseignement doctrinal, est un péché ; le peuple juif n’est plus considéré comme un peuple banni ; et l’État d’Israël est désormais reconnu par le Vatican. »
Quelques jours plus tard, c’était au tour de nombreux rabbins orthodoxes – notamment israéliens – de signer une déclaration commune reconnaissant que, « depuis le concile Vatican II, les enseignements officiels de l’Église catholique sur le judaïsme ont changé fondamentalement et irrévocablement » et appréciant « l’affirmation par l’Église de la place unique d’Israël dans l’histoire sacrée et dans la rédemption ultime du monde ». « Nous reconnaissons que le christianisme n’est ni un accident, ni une erreur, mais le résultat de la volonté divine et un don pour les nations », affirmaient-ils, en retour, dans ce texte historique.
► QUELLES DIFFICULTÉS SUBSISTENT ?
Globalement, le dialogue judéo-chrétien demeure un dialogue de spécialistes. Pour la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme, il doit justement s’étendre, avec l’objectif de « l’engagement commun pour la justice et la paix dans le monde, la préservation de la création et la réconciliation ».
À cet égard, la question de la terre d’Israël demeure une difficulté, malgré la reconnaissance de l’État d’Israël par le Saint-Siège en 1993, et il n’est pas rare, y compris dans l’Église catholique, de voir resurgir de l’antisémitisme derrière des propos anti-israéliens. C’est l’inquiétude que le pape François aurait confiée au président du Congrès juif mondial Ronald Lauder en marge de l’audience générale interreligieuse d’octobre dernier. « Attaquer des juifs, c’est de l’antisémitisme, mais une attaque contre l’État d’Israël est aussi de l’antisémitisme. Il y a peut-être des désaccords politiques entre les gouvernements sur des enjeux politiques, mais l’État d’Israël a tous les droits d’exister en sécurité et en prospérité », aurait affirmé le pape, en privé, au responsable juif.
Venu d’une Argentine où la communauté juive est nombreuse et a été en butte à l’antisémitisme, le pape Bergoglio est d’ailleurs engagé de longue date dans le dialogue judéo-chrétien, entretenant des relations d’amitié avec plusieurs rabbins. En novembre 2012, il avait même organisé une cérémonie commémorative de la Nuit de cristal à la cathédrale de Buenos Aires. Et, quelques heures après son élection, c’est au grand rabbin de Rome qu’il écrivait : « J’espère vivement pouvoir contribuer au progrès que les relations entre juifs et catholiques ont connu à la suite du concile Vatican II, dans un esprit de coopération renouvelée ». C’est dans cet esprit qu’il se rend dimanche à la synagogue de Rome.
La Croix