L’avis de Sœur Véronique Margron, dominicaine, professeure de théologie morale à l’Université Catholique de l’Ouest.
« Les prises de parole des responsables d’Église après la délibération de la Cour européenne des droits de l’homme à propos de Vincent Lambert montrent à la fois une cohérence et une divergence de sensibilités. Le spectre des positions ne va pas d’un extrême à l’autre, mais il y a tout de même des nuances entre les différents propos des évêques français. C’est très sain.
En ce qui concerne les fondements de notre foi, heureusement que l’Église est unanime ! Mais l’éthique, d’un point de vue théologique, se fonde sur la “loi naturelle”, ce qui oblige à argumenter. Une diversité de prises de position est alors légitime. Il ne s’agit pas de relativisme mais plus de modestie : qui peut prétendre connaître la réalité tout entière et présenter un point de vue parfaitement éclairé ?
En éthique, la vérité est une vérité pratique, une vérité en marche. Elle implique donc l’argumentation autant que l’écoute. Dans l’épisode bien connu de la tour de Babel (Genèse 11), face à l’uniformité que les hommes veulent ériger en dieu, le vrai Dieu, lui, recrée de la différenciation par la dispersion des langues. Et c’est ainsi que peut se faire la véritable rencontre ! Il faut apprendre la langue de l’intelligence de l’autre, la langue de sa sensibilité.
« Il est donc nécessaire que l’Église réfléchisse, argumente, se prononce »
L’Église fait face à deux écueils majeurs en matière d’éthique. Elle doit d’abord éviter des paroles définitives, figées dans le marbre, qui nient l’histoire. Car les situations dont nous parlons, comme celle si douloureuse de Vincent Lambert, sont toujours dans un contexte. Mais c’est aujourd’hui qu’il nous faut nous prononcer, en consentant donc à l’incertitude du sein même de nos décisions.
Car le second écueil serait de penser que comme les circonstances changent et que nous sommes loin du contexte biblique, alors nous n’aurions plus rien à penser et à dire sur toutes ces questions. Il est nécessaire que les médecins chrétiens, les philosophes, les théologiens, et bien sûr les évêques puissent dire à notre société comment ils entendent telle ou telle situation. S’ils ne s’y attelaient pas, avec l’Église tout entière, cela signifierait que l’intelligence, travaillée par l’Évangile, n’aurait plus raison d’être face aux enjeux de nos sociétés. Si l’Évangile est vivant, il doit pouvoir éclairer toutes les situations, quel que soit leur éloignement du contexte socioculturel dans lequel il a été écrit. Il est donc nécessaire que l’Église, en la diversité de ses membres, réfléchisse, argumente, se prononce. Bref, qu’elle se “salisse les mains”, en se risquant ainsi à prendre sa part de la réflexion commune, en s’engageant et en s’exposant.
« Prendre le temps de réfléchir pour élaborer une réponse à la hauteur d’enjeux complexes »
Face à la rapidité du temps médiatique, c’est faire preuve de sagesse que de prendre le temps de réfléchir pour élaborer une réponse à la hauteur d’enjeux complexes. Les “cas limites”, comme celui de Vincent Lambert, obligent à une pensée extrêmement nuancée. Ils devraient nous inciter à envisager les situations plus simples, en apparence du moins, avec davantage de modestie et de prudence. Toutes choses qui n’empêchent pas les convictions. Mais il nous faut lier et la conviction et la responsabilité.
En théologie morale, la question du moindre mal est très ancienne. Il s’agit, parmi toutes les décisions douloureuses que l’on peut prendre, de savoir quelle est celle qui apparaît comme étant la plus respectueuse et la plus digne. On essaie d’accomplir le “meilleur bien”. Ce “meilleur bien” est ce qui apparaît comme étant ce qui est le plus juste, le plus humain, à un moment donné et en ayant pris, autant que possible, la mesure de ses conséquences. Mais rien ne peut dire qu’il n’y aura aucun effet pervers des années plus tard. Chaque décision est à peser à l’aune de ses conséquences futures. Voilà qui devrait interdire une pensée manichéenne ou sur l’unique versant de l’injonction “il n’y a qu’à…” »
La Croix