Les «contrats de mariage de plaisir» fleurissent en Syrie

Influencée par l’Iran, où cette pratique est autorisée comme dans tous les autres pays à domination chiite, cette union temporaire d’une heure ou plusieurs années se répand, alors que des milliers de femmes sont célibataires.

 

La mention «contrat de mariage de plaisir» figure bien en tête du document daté du 2 mars 2018 à Alep. Les noms des deux époux et leurs signatures en bas de la feuille ont été effacés au Tipp-Ex mais leurs dates de naissance (1988 pour l’homme et 1994 pour la femme) sont bien visibles. Conclu pour une durée de «15 jours»et contre «une dot de 100 000 livres syriennes» (160 Euros), l’union impliquant «l’ensemble des droits conjugaux» est visée par deux témoins, représentant respectivement chacun des époux.

La publication il y a dix jours par le site d’information syrien Horrya.net de la copie d’un acte de mariage temporaire conclu par une agence spécialisée à Alep a suscité un nouvel émoi autour de cette pratique. Appelée Sigheh en Iran et autorisée chez les chiites, cette union temporaire est strictement proscrite dans l’islam sunnite majoritaire qui l’assimile à la fornication (zina), car elle équivaut à autoriser les rapports sexuels hors mariage. La pratique s’est répandue ces dernières années dans plusieurs pays arabes, notamment en Irak et en Syrie, dans les zones sous l’influence des milices chiites iraniennes. Elle consiste à contracter un mariage musulman pour une durée déterminée convenue entre l’homme et la femme. Une union allant d’une heure minimum, à un jour, une semaine, et jusqu’à 99 ans au maximum, et pouvant être immédiatement consommée.

Bénéfices rapides

Les révélations de Horrya.net portent sur l’ouverture à Alep-Est de plusieurs agences matrimoniales dédiées au mariage temporaire. Dans les quartiers populaires de la ville du nord syrien reconquise par le régime de Bachar Al-Assad grâce aux forces de son allié iranien en décembre 2016, ces «bureaux» discrets sont parfois installés dans les locaux d’anciennes agences immobilières. Celles-ci se sont reconverties dans une activité plus adaptée aux circonstances et dégageant des bénéfices plus rapides à l’heure où le marché immobilier n’est pas florissant dans la ville dévastée. Elles sont gérées par les milices chiites du Hezbollah libanais ou irakiennes et bénéficient à leurs hommes. Les agences proposent sur-le-champ au nouveau couple la location d’appartements pour consommer le mariage.

Le marché s’est développé du fait des nombreuses jeunes femmes célibataires ou veuves dans le besoin, favorisant la multiplication de ces contrats depuis le début de l’année. Contre des sommes variant entre l’équivalent de 20 à 50 euros par jour, avec des tarifs dégressifs selon la durée du mariage, les Syriennes démunies acceptent un gain ponctuel. Car ce type de mariage ne donne aucun droit à un héritage ou à une pension. Et si théoriquement les enfants nés d’une telle union doivent être reconnus par le père, il est souvent difficile de retrouver ce dernier.

Certificat médical

Plus récente en Syrie, courante en Iran et au Liban parmi les chiites, la pratique est implantée depuis plusieurs années en Irak. «L’organisation de la route de la croyance», spécialisée dans le «mariage de plaisir», est une agence matrimoniale installée dans le quartier chiite de Kazymyah sur les bords du Tigre. Sur sa page Facebook qui présente l’adresse et la photo de son bureau, les «femmes volontaires sont appelées à s’inscrire sur la page ou à se rendre dans les locaux auprès de Mme Kawthar Al-Jabiri». Elles doivent fournir leur nom, âge, photo et numéro de téléphone ainsi qu’un certificat médical attestant qu’elles n’ont pas de maladies. Parmi les règles du mariage détaillées sur la page figurent les conditions pour une fille vierge, qui doit avoir l’assentiment de son «tuteur».

L’institutionnalisation du mariage de plaisir longtemps dénoncé pour des raisons religieuses et morales inquiète de plus en plus les défenseurs des droits des femmes dans les pays concernés. Elle est perçue comme une prostitution déguisée qui profite de la situation des femmes les plus vulnérables.

Libération.fr

F. Achouri

Sociologue.

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