Les salariés de l’Église auront leur branche professionnelle

Épiscopat et représentants syndicaux se rencontrent pour la première fois vendredi 3 juillet afin d’organiser la création d’une branche professionnelle destinée aux 12 000 laïcs salariés par les diocèses et les paroisses de France.

 

La décision de créer cette branche professionnelle constitue une petite révolution dans un milieu en pleine professionnalisation, et toujours marqué par une forte implication des bénévoles.

Fin mars, la nouvelle est passée quasiment inaperçue. Une seule phrase, un rien incompréhensible pour le quidam, accolée à la toute fin d’un communiqué diffusé à l’issue de l’Assemblée plénière de printemps de l’épiscopat français. « L’Assemblée générale de l’UADF (Union des Associations Diocésaines de France) a voté en faveur de la constitution d’une “branche professionnelle” spécifique au bénéfice des quelque 12 000 salariés des organismes d’Église comme notamment ceux des associations diocésaines et des paroisses. » 

Cette décision marque une petite révolution dans un milieu qui a longtemps reposé uniquement sur le dévouement de bénévoles, encore très actifs. Or, l’embauche de milliers de salariés a considérablement changé la donne. Comme dans la métallurgie, la sidérurgie ou le textile, les laïcs salariés par l’Église disposeront donc de règles communes à tous.

 

Trois années de négociation débutent

Les sujets ne manquent pas : organisation du temps de travail, formation professionnelle, développement des compétences, travail dominical… « Nous allons négocier thème par thème, entre fin 2015 et fin 2018 », précise Corinne Boilley, secrétaire générale adjointe de la Conférence des évêques de France (CEF), qui pilote ce dossier. Mais avant, épiscopat et syndicats doivent arrêter ensemble les règles du jeu de ces trois années de discussion.

C’est précisément ce que leurs représentants s’apprêtent à faire vendredi 3 juillet, réunis pour la toute première fois à la Conférence des évêques de France. Autour de la table, pour aboutir à cet « accord de méthode », une configuration inédite : côté syndicats, des représentants de la CFDT et de la CFTC ; côté patronat, Mgr Jean-Yves Nahmias, l’évêque de Meaux. C’est lui qui présidera aux négociations, en tant que président du Conseil pour les affaires économiques, sociales et juridiques de l’épiscopat.

Un statut du personnel laïc dans l’Église depuis 1997

Avant d’en arriver là, il fallait obtenir le feu vert de la Direction générale du travail. Ce qui fut fait à la mi-juin. « La naissance de cette branche est l’aboutissement de la professionnalisation entamée dans les diocèses français depuis une quinzaine d’années », analyse le directeur d’Ecclesia RH, Jacques de Scorraille. Déjà, en 1997, les évêques français avaient adopté un « statut du personnel laïc de l’Église de France », suivi, neuf ans après, par la mise en place des premières conventions et des premiers accords collectifs.

Depuis, de tels accords sont négociés diocèse par diocèse entre l’évêque et des représentants du personnel. Aujourd’hui, 42 diocèses, sur 90, ont signé de tels accords, et d’autres sont en cours de négociation.

Comment la nouvelle branche s’articulera-t-elle avec ces accords collectifs déjà en place localement ? Les deux systèmes cohabiteront. Et s’il existe une différence entre les deux textes, c’est la disposition la plus favorable au salarié qui prévaudra.

« Une décision très ambitieuse »

Dans les faits, chaque diocèse gardera sa propre autonomie et sa responsabilité à l’égard des salariés qu’il emploie. « Certains évêques craignaient d’être forcés d’embaucher un salarié venu d’un autre diocèse. Ce ne sera pas le cas », précise Corinne Boilley. Il ne s’agit pas non plus, à ce stade, d’empêcher les diocèses de mettre des conditions d’ordre moral dans le choix de leurs salariés, sur certains postes (personnes divorcées-remariées par exemple). « C’est une autre question, distincte de la création de cette branche », insiste-t-on à la CEF. Il n’est pas prévu non plus de prendre en compte les milliers de laïcs salariés par les instituts et les congrégations religieuses, même si la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) suit de très près le dossier.

 

« Cette décision de l’Église catholique est très ambitieuse », souligne Sébastien Delahaye, secrétaire fédéral de la Fédération des services de la CFDT, qui participe aux discussions. Peu habitué des cercles ecclésiaux, il note avec satisfaction « la volonté des évêques de mettre en place un dialogue social constructif et efficace ».

Conscient de la « spécificité de l’Église » comme employeur, il évoque les interactions, parfois douloureuses, entre le droit du travail et le droit canonique. Avec cette question, emblématique : comment articuler un CDI et une mission confiée à un laïc pour trois années seulement ? « Il est évident que nous n’allons pas accepter de déroger au droit commun. Et que l’Église ne voudra pas non plus s’affranchir du droit canonique. Il nous faudra donc trouver une zone d’intelligence qui soit acceptable pour tout le monde », résume-t-il.

Changement de culture

« Quand on a une profession qui touche au plus intime des convictions personnelles, la relation à l’employeur, c’est-à-dire à l’évêque, est marquée par une double dimension : on est à la fois un professionnel, et l’on appartient à l’Église », résume Alain Deleu, ancien président de la CFTC, et l’un des quatre négociateurs de la centrale chrétienne. Résultat de cet environnement spécifique : « Lorsqu’un conflit se dessine, les salariés ont tendance à se taire pour ne pas mettre en danger le projet qu’ils servent. Du coup, le risque est grand d’accumuler les rancœurs et les déceptions. Il faut donc trouver les moyens de détecter rapidement ces difficultés. »

« Aujourd’hui, le dialogue social, dans l’Église, n’est pas encore naturel, reconnaît Mgr Jean-Yves Nahmias. Mais nous sommes dans un processus de changement de culture. Diocèses et paroisses sont des employeurs, insérés dans la société française, dont ils ne peuvent ignorer les dispositions légales. Cela fait désormais partie de l’ordinaire de la vie de l’Église. » 

REPÈRES

À quoi sert une branche professionnelle ?

Leur définition : il n’existe pas de définition juridique de la branche. Historiquement, les employeurs ont pris l’initiative de se regrouper pour discuter, soit par secteur d’activité (métallurgie, secteur bancaire, propreté, commerces de gros…), soit par sous-groupes à l’intérieur d’un secteur (ganterie de peau, carénage de Saint-Nazaire).

Leur rôle : pour les syndicats d’employeurs et de salariés, la branche a un rôle essentiel puisqu’elle sert de niveau de négociation intermédiaire entre l’interprofessionnel et l’entreprise. On y définit des règles communes à toutes les entreprises de la branche, ce qui permet d’éviter des distorsions de concurrence. Les conventions collectives définissent les conditions d’emploi et les garanties sociales de l’ensemble des salariés de la branche.

Leur nombre : selon les sources, on dénombre entre 400 et 1 000 branches professionnelles, le ministère du travail en recense « près de 700 », dont 50 représentent 75 % des salariés, et 200 qui sont atones. Le gouvernement a entrepris une réforme pour aboutir à des branches moins nombreuses mais plus dynamiques.

 

La Croix

F. Achouri

Sociologue.

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